Policiers et motocyclistes jouent au chat et à la souris dans le centre de Conakry depuis que les autorités y ont interdit les motos taxis, essentielles aux conducteurs pour vivre et aux clients pour échapper aux bouchons endémiques de la capitale guinéenne.
Le jeu peut dégénérer, comme quand deux policiers en tenue bleu marine empoignent un pilote récalcitrant lors d'un contrôle. En plein jour sous le regard de passants déconcertés, un policier déséquilibre le conducteur d'une clé aux jambes et lui passe les menottes, montrent des images de l'AFP.
Les confrontations tendues ne sont pas rares entre usagers et forces de l'ordre dans un pays où circuler est une épreuve à cause de l'engorgement et du délabrement des routes, où les policiers sont régulièrement montrés du doigt pour leur brutalité et où beaucoup survivent comme ils peuvent.
Cependant, les altercations et les courses poursuites sont devenues encore plus fréquentes depuis que la police a dénoncé le 5 mai à la télévision nationale la "prolifération intempestive" des motos taxis à Kaloum, quartier des ministères et des affaires, en contravention d'un décret d'août 2016.
"Dès ce jeudi 6 mai, aucune circulation de moto taxi ne sera autorisée" à Kaloum, a asséné le lieutenant-colonel Mory Kaba, un porte-parole du ministère de la Sécurité ; les contrevenants "verront leur moto confisquée et gardée en fourrière jusqu'à nouvel ordre".
Il y a quelques jours, des jeunes faisaient la queue devant la police routière pour récupérer leur moto, moyennant 200.000 francs guinéens (environ 16,7 euros), une grosse somme ici, a constaté un correspondant de l'AFP.
Ces motards ne sont pas seulement privés de leur véhicule, mais de leur gagne-pain, dans un des pays les plus pauvres du monde.
Fauteurs de désordre
Abdoul Karim Bah, 27 ans, diplômé en droit, cherche du travail depuis trois ans. "Mon frère commerçant, qui m'a soutenu pendant mes études universitaires, m'a acheté une moto et m'a dit: +Va te débrouiller comme tous les diplômés chômeurs de ton âge+", relate-t-il.
Lui et ses collègues gagnent entre 100.000 GNF et 125.000 GNF (8,3 et 10,4 EUR) par jour, dit-il. Une bonne partie sert à payer la moto et ses charges ou est reversée au propriétaire du véhicule, selon les cas. Il lui reste l'équivalent de 2,5 euros par jour, indique-t-il.
C'est un revenu ou un appoint bienvenu. Les clients aussi y trouvent leur intérêt. Entrer ou sortir de Kaloum en voiture, c'est prendre le risque d'un trajet à durée indéterminée.
Monter derrière une moto peut revenir nettement plus cher qu'une voiture parce le passager ne partage pas la course avec d'autres clients. Mais le gain de temps est considérable.
Seulement, dit le capitaine Issa Camara, de la police routière, les conducteurs de moto "sèment le désordre partout où ils passent. Ils s'arrêtent n'importe où et n'importe comment".
Plus de 100 personnes ont été tuées en Guinée depuis le début de l'année dans des accidents causés par les motos taxis, dit un haut responsable de la police.
"Nous avons tous les problèmes du monde" pour contrôler cette "prolifération", dit Mamadou Baïlo Tounkara, responsable du syndicat des motos taxis à Ratoma, une subdivision de Conakry.
Aveu d'impuissance
Une petite partie du secteur est formalisée. Dans la nuée des deux-roues qui sillonnent Conakry, les taxi-motards adhérents à un syndicat se reconnaissant à leur gilet numéroté d'une couleur différente selon les quartiers. Eux aussi ont régulièrement maille à partir avec les agents.
Mais les clandestins pullulent sous l'effet de la crise.
"Tous ceux qui ont échoué dans la vie, tous les diplômés sans emploi qui n'ont rien appris dans la conduite des motos se sont versés dans cette activité, certes génératrice de revenus, mais extrêmement dangereuse", dit Mamadou Baïlo Tounkara.
Un responsable de l'administration de Kaloum avoue l'impuissance à combattre le phénomène. "Même si tu mets un gendarme derrière chaque conducteur de moto taxi, il finira par corrompre ce gendarme et continuera à te narguer", dit-il sous le couvert de l'anonymat pour ne pas paraître dénigrer les autorités.
Certains tombent quand même entre les griffes des policiers.
"Je sais que c'est interdit. Mais nous, on n'a pas de boulot. On a ça comme boulot", se désole Mamadou Bachir Diallo, masque anti-Covid sous le menton. Si on ne voit pas les jeunes traîner dans la rue "à faire du thé, c'est parce qu'il y a la moto".
"C'est de l'injustice", se récrie-t-il, "parce qu'il y a des policiers qui ont des motos et leurs petits (leurs enfants, NDLR) roulent chaque jour ici et on les arrête pas".