Le rachat par le conglomérat chinois Wanda du studio Legendary Entertainment en janvier a attiré l'attention sur cette forme de "soft power". Pour 3,5 milliards de dollars (3,1 milliards d'euros), Wanda a réalisé le plus gros rachat d'une entreprise de divertissement par un groupe chinois et pris les commandes d'une institution lucrative grâce aux blockbusters comme "Jurassic World", "Batman" ou "Godzilla".
"Le marché chinois est en plein décollage et cela intéresse vraiment Hollywood", explique Stanley Rosen, professeur de sciences politiques à l'université de Californie du Sud. "Hollywood a ce qu'il manque à la Chine, les capacités narratives, le marketing, la distribution".
Le propriétaire de Wanda, Wang Jianlin, qui avait acquis en 2012 le réseau de salles de cinéma américain AMC Entertainment pour 2,6 milliards de dollars, assure que le rachat de Legendary fait de son groupe le plus lucratif au monde dans l'industrie du film.
L'accord place aussi Legendary en position de choix pour le box-office chinois, qui devrait passer de 4,3 milliards de dollars de revenus annuels en 2014 à 8,9 milliards en 2019, selon PricewaterhouseCoopers.
- 22 écrans par jour -
Avec une classe moyenne en pleine expansion, qui représentera 75% des ménages d'ici une décennie, un nombre croissant de Chinois accède à un mode de vie consumériste.
En témoignent les constructions de cinémas, avec en moyenne 22 écrans installés chaque jour (8.035 au total) en 2014, selon des sources officielles.
Cette croissance chinoise intervient au moment où les chiffres nord-américains stagnent. Ainsi, pour la première fois en février, le box-office chinois, représentant 1,1 milliard de dollars, a dépassé les revenus américains, selon la société chinoise EntGroup.
Les investissements cumulés de la Chine aux Etats-Unis depuis 2000 atteignaient 63 milliards de dollars fin 2015, dont 4 milliards uniquement dans le divertissement, détaille le cabinet Rhodium Group.
La tendance devrait aller en s'accélérant compte tenu des projets de Huayi Brothers de produire au moins 18 films avec LA studio STX Entertainment, ou du conglomérat Fosun International, basé à Shanghai, qui veut prendre entrer dans la firme américaine Studio 8.
Quant au groupe Wanda, il est pressenti, de même que le géant du commerce en ligne Alibaba, pour devenir investisseur minoritaire au sein de Paramount, tandis que Hunan TV a signé un accord de 1,5 milliard de dollars pour financer Lionsgate Movies et que Perfect World Pictures a investi 250 millions de dollars sur cinq ans dans Universal.
- 34 films étrangers par an -
L'engouement des Chinois pour le grand écran reste encadré par les autorités, Pékin ayant émis un décret en 2011 contre les films "fantastiques", les "voyages dans le temps" et autre "intrigues bizarres".
Le président Xi Jinping a demandé de délaisser "l'amusement sensuel naïf" au profit d'images "ancrées dans la réalité qui montrent aux gens ce qu'ils doivent affirmer et honorer".
Seul 34 films étrangers sont autorisés chaque année, tous examinés de près par la censure. Les coproductions peuvent s'ajouter, à condition qu'elles contiennent suffisamment d'éléments chinois - personnages, lieux ou intrigues.
Selon Jonathan Landreth, directeur de la rédaction du magazine en ligne China Fila, basé à New York, l'accord Wanda-Legendary n'aurait pu se faire sans les "encouragements" du président chinois. "Tandis que Wanda investit à Hollywood pour faire de l'argent, l'accord permet à Legendary d'être, sans le vouloir, le plus puissant relais de Pékin pour diffuser sa vision du monde, une vision qui interdit toute discussion sur l'emprisonnement de dissidents", écrivait-il récemment.
La première coproduction de Legendary après ce rachat sera le film de science-fiction au budget de 150 millions de dollars "The Great Wall". Avec Matt Damon, Willem Dafoe et le chanteur et acteur hongkongais Andy Lau, il sortira en décembre en Chine, deux mois avant les Etats-Unis.
Le film, réalisé par Zhang Yimou, est le plus cher jamais tourné en Chine et pourrait servir de baromètre pour évaluer la popularité de ces coproductions auprès du public chinois, estime Christopher Spicer, associé du cabinet d'avocats Akin Gump, qui s'attend "à ce que la tendance du financement chinois se poursuive".
Avec AFP