La Cour d'appel du Kenya a confirmé vendredi l'illégalité du processus de révision constitutionnelle lancé par le président Uhuru Kenyatta, qui voit ses projets contrecarrés à moins d'un an de l'élection présidentielle.
Cette réforme, baptisée "Building Bridge Initiative" (BBI), vise à modifier la constitution de 2010 - qui a instauré un régime présidentiel - pour créer notamment un poste de Premier ministre, deux de vice-Premier ministre et un de chef de l'opposition et augmenter le nombre de sièges au Parlement.
Mais "le président n'a pas le pouvoir, en vertu de la Constitution, d'initier des modifications de la Constitution. Un amendement constitutionnel ne peut être initié que par le Parlement (...) ou par initiative populaire", a notamment déclaré le président du tribunal Daniel Musinga, en conclusion des plus de dix heures de lecture du jugement.
Le chef de l'Etat peut faire l'objet de poursuites civiles pour avoir lancé illégalement ce processus, ont également estimé les sept juges.
Le BBI est source de controverses croissantes depuis son lancement le 27 novembre 2019.
Le président Kenyatta affirme que cette réforme doit permettre d'atténuer le système actuel du "vainqueur rafle tout", cause des conflits post-électoraux qui ont jalonné l'histoire du pays.
Mais ses détracteurs y voient un stratagème du chef de l'Etat, qui n'est pas autorisé à se présenter pour un troisième mandat lors de l'élection d'août 2022, pour se maintenir au pouvoir en tant que Premier ministre.
Certains soupçonnent une entente pour un partage du pouvoir avec celui qui a été son principal opposant, Raila Odinga.
Après les violences post-électorales de 2017, les deux adversaires ont entamé un rapprochement inattendu, incarné par une poignée de main restée célèbre sous le nom de "The handshake" en mars 2018.
"Coalition des puissants"
Le premier des opposants au texte est William Ruto, vice-président depuis 2013 de M. Kenyatta qui l'avait adoubé comme son successeur pour 2022.
Depuis le rapprochement avec Raila Odinga, il se voit de plus en plus marginalisé du pouvoir.
"Dieu (...) a empêché la coalition des connus, des puissants de détruire notre Constitution", s'est félicité sur Twitter celui qui se présente comme le porte-voix des "débrouillards" et des gens de la rue.
Le 11 mai, le Parlement avait approuvé ce projet, qui devait être soumis à referendum.
Mais deux jours plus tard, un tribunal de Nairobi avait jugé le processus illégal.
Uhuru Kenyatta avait dénoncé une "tentative de bloquer la volonté du peuple". Le gouvernement avait fait appel.
Les partisans du BBI peuvent encore déposer un recours devant la Cour Suprême.
Raila Odinga a annoncé cette semaine qu'il ne contesterait pas une décision défavorable de la Cour d'appel.
"Nous ne voulons plus perdre de temps en allant devant la Cour Suprême. Nous allons nous concentrer pleinement sur les élections", a-t-il déclaré sur une radio mercredi.
Dans un tweet posté quelques minutes avant l'annonce du jugement, il a affirmé que "les parties concernées prendront chacune leurs propres décisions sur la manière de procéder à partir de la décision rendue aujourd'hui".
Stratégies
Sous réserve d'un appel devant la Cour Suprême, ce jugement permet au processus électoral de se poursuivre comme prévu.
Mais elle va modifier les stratégies et manoeuvres politiques en vue du premier tour, fixé au 9 août 2022.
Cette réforme offrait notamment la possibilité de former des coalitions entre partis. Des tractations avaient débuté, avec au coeur des discussions les nouveaux postes de l'exécutif et les 70 nouvelles circonscriptions prévus dans le BBI.
"Il pourrait s'avérer plus difficile de parvenir à de telles alliances en amont des élections si le BBI n'est pas sur la table et si ces nouveaux postes n'ont pas été créés", souligne à l'AFP Nic Cheeseman, professeur à l'université de Birmingham (Royaume-Uni).
Pour beaucoup d'observateurs, ce jugement asseoit aussi une certaine indépendance du pouvoir judiciaire vis-à-vis de l'exécutif.
En septembre 2017, la Cour Suprême avait invalidé les résultats de l'élection présidentielle du 8 août, lors de laquelle le sortant Uhuru Kenyatta était arrivé en tête.
Cette décision, une première dans l'histoire du continent, a envenimé les relations entre la magistrature et le président Kenyatta, qui avait toutefois été réélu (98,26%) quelques semaines plus tard lors d'un nouveau scrutin boycotté par son rival Odinga.