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La Cour suprême américaine garde son cap, assure l'un de ses juges


Immeuble du Département américain de la Justice
Immeuble du Département américain de la Justice

Objet d'un bras de fer sur fond d'élection présidentielle, diminuée par l'absence de l'un de ses neuf juges, la Cour suprême des Etats-Unis garde son cap en mer agitée, assure à l'AFP Stephen Breyer, l'un des éminents sages de l'institution.

"Nous fonctionnons normalement. Nous faisons notre travail", affirme le magistrat progressiste, balayant les évocations dans la presse d'une Cour "politisée", "boiteuse", "frileuse" ou "bottant en touche".

"Cela, c'est leur opinion. Chacun a le droit de donner son avis. Nous avons à trancher des affaires, nous nous faisons une idée, nous rédigeons des arrêts détaillant nos motivations et nous les publions. Une fois rendus publics, ils sont souvent critiqués", poursuit M. Breyer, 77 ans, dans un entretien réalisé à Washington.

Plus haute juridiction américaine, la Cour suprême a le dernier mot sur les questions cruciales de politique ou de société. Depuis le décès en février du magistrat conservateur Antonin Scalia, elle siège à huit juges, quatre conservateurs et quatre progressistes, sous la menace de blocages répétés à égalité quatre contre quatre.

Le remplacement du juge Scalia, un enjeu énorme car il fera pencher la Cour d'un côté ou de l'autre, donne lieu à un affrontement tendu entre la Maison Blanche et les républicains qui font de l'obstruction au Sénat. Ces derniers refusent d'entendre Merrick Garland, nommé en mars par le président Barack Obama au neuvième siège.

Stephen Breyer a bien en tête un profil idéal pour le poste mais reste bouche cousue.

- "Poulet à la reine" -

"Je ne peux pas suggérer au président qui il devrait désigner. Ce n'est pas mon boulot. Me poser une question sur qui devrait être nommé ou sur le processus de nomination revient à demander la recette du poulet à la reine... au poulet!", s'amuse-t-il.

"La diversité est un plus pour la Cour", glisse-t-il seulement quand on lui demande si une quatrième femme devrait rejoindre le prestigieux collège.

Breyer a lui été choisi il y a 22 ans par Bill Clinton. Il s'est imposé depuis, aux côtés de l'octogénaire Ruth Bader Ginsburg, comme un pilier progressiste du Temple du droit, notamment par ses argumentaires contre la peine de mort.

Le choix d'un nouveau juge pour la haute Cour est d'autant plus crucial que ceux-ci sont nommés à vie. Stephen Breyer, lui, n'est pas opposé à un départ automatique à la retraite.

"Il faudrait un long mandat de 15 ou 18 ans, car cela n'est pas bon qu'un ou qu'une juge de la Cour réfléchisse à ce que sera son emploi suivant", dit-il.

Mais selon lui un tel changement nécessiterait très probablement une révision de la Constitution. "Ce n'est pas une bonne idée car, quand on commence à amender la Constitution, on ne sait pas où cela s'arrêtera. Nous avons très peu d'amendements --27-- et c'est une bonne chose car cela apporte de la stabilité".

- Constitution en poche -

La Constitution, justement, le juge Breyer en porte toujours un mince exemplaire annoté dans la poche intérieure de sa veste.

Certains amendements, notamment le premier (liberté d'expression et de religion), le second (détention et port d'arme) ou le huitième (qui bannit les peines cruelles et inhabituelles) ont donné lieu à des luttes épiques à la Cour suprême.

En cette année électorale marquée par l'irruption surprise du républicain populiste Donald Trump, certaines questions éternelles sont devenues encore plus explosives. Et les semaines qui s'ouvrent s'annoncent chaudes, la Cour suprême clôturant fin juin sa session annuelle.

"Nous avons devant nous plusieurs affaires sur la peine de mort, nous avons un dossier sur l'avortement", rappelle Stephen Breyer, "mais je ne peux pas entrer là-dedans car ce sont justement les sujets à éviter".

Le juriste natif de San Francisco, fin connaisseur de Proust et de Stendhal, aime également citer Cicéron --"En temps de guerre, les lois sont muettes"-- pour rappeler que, durant la Deuxième guerre mondiale, 70.000 Américains d'origine japonaise ont été internés sans raison dans des camps.

Il estime aujourd'hui improbable qu'une telle hypothèse puisse se reproduire. Mais, si on lui demande son avis sur l'éventualité future d'expulsions massives d'immigrés clandestins --une promesse de campagne de Trump-- le brillant magistrat flaire la question piège.

"Vous déviez sur un sujet politique de la campagne. Je ne peux pas m'exprimer là-dessus", sourit-il.

Avec AFP

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