La récente mise en place d'une "task force" sur le coronavirus dirigée par le secrétaire général de la présidence du Cameroun, Ferdinand Ngoh Ngoh, suscite une levée de boucliers.
Si officiellement cette structure est censée compléter le dispositif existant pour la lutte contre la pandémie, de nombreux observateurs y voient plutôt l'élévation de M. Ngoh Ngoh comme seul maître à bord.
Jusqu'ici, la gestion de la riposte à la crise liée à la maladie covid-19 était sous l'autorité des services du Premier ministre Joseph Ngute. Mais dans une correspondance datée du 31 mars, M. Ngoh Ngoh prend le relais.
Délégation de signature
Les détracteurs de M. Ngoh Ngoh mettent en doute ses capacités managériales. Ils avancent comme preuve sa gestion, jugée catastrophique, d’une autre "task force", celle de la Coupe d'Afrique des Nations 2019. Malgré un budget de 1000 milliards de francs CFA, elle n’est pas parvenue à concrétiser à temps les infrastructures destinées au tournoi. La CAN a fini par échapper au pays.
Au-delà de la crise sanitaire, les critiques contre le secrétaire général de la présidence semblent cristalliser la perception croissante que M. Ngoh Ngoh, qui dans l’ordre protocolaire a rang de ministre d’État, est en fait celui qui dirige le Cameroun dans l’ombre en lieu et place du président Biya. Au pouvoir depuis 1982, M. Biya, 88 ans, est de moins en moins vu en public.
Une perception davantage renforcée avec l’annonce, en février 2019, que M. Ngoh Ngoh avait désormais reçu la délégation de signature du chef de l'État.
"Sur le plan légal, cette décision ne présente véritablement aucune anomalie", explique le politologue Aristide Mono. "Le secrétariat général de la présidence de la République est le bras agissant du président, de même que son patron peut se substituer à ce dernier en tant que délégataire", ajoute-t-il.
Un avis partagé par Louison Essomba, expert en droit public, pour qui la création de la "task force" est motivée par un souci de transparence et d'efficacité. "Si le Premier ministre est le premier collaborateur du président de la République, le ministre secrétaire général est en réalité son homme de confiance", explique-t-il sur un plateau de la chaîne Canal 2 International.
"L’illusion de deux présidents"
La thèse d'une bataille de leadership au sein de l'élite dirigeante au Cameroun est aussi avancée par Aloys Parfait Mbvoum, vice-président régional du Social Democrac Front (SDF), un parti d’opposition. Il y ajoute un motif purement pécunier.
"Il s’agit d’une nouvelle avancée, sur fond de batailles d’influence au sein du régime, pour la gestion des financements liés à la cause. Ces dernières semaines, en effet, ont été secouées par des bagarres à fleurets mouchetés entre dirigeants, avec aux premières loges M. Ngoh Ngoh dans le rôle du contrôleur général de la gestion des fonds covid dans le pays", souligne le No.1 du SDF dans la région du Centre, qui renferme Yaoundé, la capitale politique.
Pour Aristide Mono, il y a un "bicéphalisme de fait" à la tête de l’État camerounais. "Il y a l’illusion de deux présidents, l’un symbolique et l’autre opérationnel. Finalement, on a du mal à déterminer la véritable paternité des actes arrêtés par la présidence", dit-il.
Audits et contre-enquêtes
Des pressions externes ont aussi joué un rôle dans la création de la "task force".
En effet, elle intervient intervient au lendemain d’une injonction du Fonds monétaire international (FMI), demandant un audit complet de l’usage d'une enveloppe de l’ordre de 214 milliards de francs CFA, destinée au renforcement du plan de riposte contre le coronavirus au Cameroun. Des résultats de cette enquête, a précisé le FMI, dépendra tout nouveau décaissement en faveur du pays.
A coup de sommations, M. Ngoh Ngoh a aussi ordonné au Contrôle supérieur de l’État, placé sous son autorité, un audit de l’usage de la dotation des 45 milliards de francs CFA, sur un total de 180 milliards, ventilée dans 25 administrations, octroyée au ministère de la santé. Et pourtant, le ministère venait d’abriter une mission de contrôle de la Chambre des comptes de la Cour suprême pour le même budget.
Dans cet enchevêtrement d’audits et de contre-enquêtes, le secrétaire général de la présidence affiche une posture de juge et partie, tandis que le Premier ministre et chef du gouvernement semble relégué au rang de spectateur.