ISTANBUL (Reuters) - Ministres des Finances et banquiers centraux du G20 se réunissent à Istanbul lundi et mardi pour coordonner leurs actions en faveur de la croissance mondiale, une tâche difficile au vu des situations économiques contrastées des uns et des autres et des politiques monétaires divergentes qui en résultent.
Aux inquiétudes sur la capacité de l'économie américaine à tirer le reste du monde s'ajoutent les interrogations sur les effets de la chute des cours du pétrole et de l'appréciation du dollar, sans parler du regain de tension autour de la dette grecque après l'arrivée au pouvoir de la gauche radicale aux élections législatives du 25 janvier.
"Les enjeux sont considérables", affirme Christine Lagarde, la directrice générale du Fonds monétaire international, dans un blog posté vendredi. "Si l'action n'est pas au rendez-vous, le supertanker de l'économie mondiale risque de ne pas pouvoir se dégager des bancs de sable de la croissance poussive et de la faible création d'emplois."
Lors d'une conférence dimanche, le vice-Premier ministre turc Ali Babacan a affirmé que la présidence turque du G20 aurait pour priorités de relancer la croissance mondiale et de donner aux pays en développement une plus grande voix au chapitre.
UN "PLAN D'ACTION" RESTREINT
Le secrétaire américain au Trésor, Jack Lew, a affirmé la semaine passée que les Etats-Unis ne pouvaient être "le seul moteur de croissance" et un responsable américain a indiqué que Washington ferait passer le message à Istanbul que l'Europe doit en faire plus.
Relancer la croissance mondiale sera au coeur des préoccupations à Istanbul, a déclaré de son côté le ministre canadien des Finances, Joe Oliver, en présentant comme des risques majeurs la stagnation en zone euro, le ralentissement de la croissance chinoise et indienne ainsi que les crises géopolitiques en Ukraine, en Irak et en Syrie.
"L'Amérique porte la croissance mondiale pour le moment mais cela ne peut durer", a-t-il ajouté.
L'Allemagne devrait répondre que sa demande intérieure en hausse et ses projets d'investissements publics attestent de sa bonne volonté, selon des sources européennes au fait des préparatifs de la réunion.
Ali Babacan entend rappeler les membres du G20 à leurs engagements précédents, une stratégie qu'il résume par l'expression "Tenez parole ou expliquez-vous".
Lors de leur sommet de novembre en Australie, les dirigeants du G20 s'étaient entendus sur un "Plan d'action de Brisbane" comportant un millier d'engagements, avec pour objectif d'ajouter plus de 2.000 milliards de dollars à l'économie mondiale et de créer des millions de nouveaux emplois pendant les quatre prochaines années.
Selon des sources européennes, ces engagements ambitieux devraient être réduits à cinq ou dix priorités par pays à la réunion d'Istanbul afin de pouvoir mieux en vérifier la mise en oeuvre.
Intervenant comme Ali Babacan à la conférence de l'Institut de la finance internationale (IFF), le président de la banque suisse UBS, Axel Weber, a plaidé en faveur d'un rôle accru du secteur privé, seul à même selon lui de financer les quelque 60.000 à 70.000 dollars de dépenses d'infrastructures qu'il faudra engager d'ici 2030 pour favoriser la croissance.
Le durcissement des exigences de fonds propres limitent la capacité des banques à investir et les instances de régulation devraient se demander "si elles ont bien calibré la chose", a dit l'ancien patron de la Bundesbank.
"Mon message principal aux responsables politiques ne sera pas très aisé - ne travaillez pas contre le secteur privé, travaillez avec lui".
POLITIQUE MONÉTAIRE ASYNCHRONE
Le G20 avait mis au point un plan mondial de relance pendant la crise financière de 2007-2009 mais la tâche est plus ardue à présent en raison des politiques monétaires divergentes, qui entraînent des turbulences sur les marchés financiers.
Alors que la Réserve fédérale américaine se prépare à relever ses taux d'intérêt cette année, d'autres pays allant de l'Inde à l'Australie et du Canada au Danemark ont réduit les leurs de manière impromptue. La Banque d'Angleterre et la Banque du Japon, tout juste rejointes par la Banque centrale européenne, continuent de racheter massivement des actifs - politique dite d'assouplissement quantitatif, que la Fed a arrêtée en 2014 -, la Chine vient de réduire son coefficient de réserves obligatoires et la Banque nationale suisse a brutalement mis fin au cours plancher du franc.
La "politique monétaire asynchrone, c'est-à-dire la normalisation aux États-Unis alors que la plupart des autres pays intensifient la relance (...) pourrait conduire à une volatilité excessive sur les marchés financiers, à mesure qu'évoluera la perception des risques chez les investisseurs", avertit Christine Lagarde sur le blog du FMI.
Selon un haut responsable canadien, le communiqué final du G20 devrait souligner le rôle important des banques centrales pour soutenir la demande.
La politique monétaire de la Turquie elle-même pourrait être évoquée. A l'approche des élections de juin, le président Tayyip Erdogan et le gouvernement font ouvertement pression sur la banque centrale pour qu'elle baisse ses taux en dépit d'une inflation toujours élevée, ce qui a eu pour effet de faire tomber la livre à de nouveaux plus bas.
Le dossier grec devrait aussi être abordé, même si la mise en place de mécanismes de protection rend les marchés européens moins vulnérables à ce risque qu'il y a quelques années, dit-on dans l'entourage du ministre français des Finances, Michel Sapin.
Paris a également demandé d'inscrire à l'ordre du jour la lutte contre le financement du terrorisme, un sujet sensible pour la Turquie compte tenu de ses frontières avec la Syrie et l'Irak.