"Mes billets ont été annulés, et j'hésite à aller voir ma grand-mère: je ne voudrais pas la contaminer": coronavirus oblige, Nour envisage sans enthousiasme un été à Paris au lieu d'aller comme d'habitude en vacances en Tunisie, pays d'origine de ses parents.
Plusieurs millions de personnes vivant, comme elle, avec un pied de chaque côté de la Méditerranée rallient chaque été le Maghreb.
Mais à cause des restrictions de circulation et des incertitudes liées à la pandémie, de nombreuses familles ne pourront se retrouver cette année. Et l'Aïd el-Kébir, occasion de retrouvailles particulièrement festives, tombe en plus fin juillet.
Nour avait prévu de longue date d'embarquer pour Tunis le 26 juillet, afin de retrouver "toute sa famille".
"J'aime aller en Tunisie un mois, voire deux quand je le peux, pour passer du temps avec mes grand-mères, à Bizerte ou à Djerba", explique à l'AFP la jeune femme de 26 ans, qui travaille dans la prévention santé.
Mais la pandémie ayant désorganisé les transports aériens, son vol a été annulé.
"Il n'y a plus d'autre vol sur cette compagnie pour rentrer en août, j'ai une promesse d'embauche en septembre -- j'hésite beaucoup car c'est dur de ne pas voir la famille mais ça devient vraiment compliqué de partir", se désole Nour.
"Opération exceptionnelle"
Elle envisage de rester en Seine-Saint-Denis, dans la banlieue de Paris, avec ses amis: beaucoup, originaires comme elle du Maghreb, resteront en France cette année.
Au Maroc, comme en Algérie, les frontières sont toujours fermées en raison du coronavirus.
Rabat a néanmoins annoncé début juillet une "opération exceptionnelle" permettant aux Marocains, y compris ceux résidant à l'étranger, de rentrer à partir du 15 juillet par avion ou par bateau depuis la France ou l'Italie.
Sites internet, agences de voyages et compagnies aériennes ont été pris d'assaut dès cette annonce, selon des médias locaux. D'après un sondage effectué par la presse locale début juillet, un Marocain de l'étranger sur deux espérait rentrer au pays cet été.
Reste à savoir combien y parviendront car, pour beaucoup, le voyage ressemble à une mission impossible.
Le prix des billets a causé des remous sur les réseaux sociaux jusqu'à ce que la compagnie nationale marocaine annonce des prix conformes aux tarifs saisonniers. Et Rabat exige un double test négatif de moins de 48 heures avant l'embarquement, une gageure pour certains.
"Aucun laboratoire n'accepte de me faire passer le test si je n'ai pas de fièvre!", il faut "aller dans un labo privé mais aucun n'accepte de me livrer les résultats dans les 48 heures", peste sur Facebook une Marocaine résidant aux Etats-Unis.
Diaspora et devises
En Tunisie, la quarantaine obligatoire de 14 jours a été levée à la mi-juin, et les frontières ont rouvert le 27 juin. Les voyageurs venant de pays classés vert, comme la France et l'Italie, ne sont soumis à aucune restriction.
Mais les dessertes maritimes ont été perturbées par des cas de Covid-19 parmi les équipages. Et la crainte d'être pris au piège d'une seconde vague, qui ferait fermer les frontières, dissuade certains.
Sur les réseaux sociaux, les débats sont houleux: partir, au risque de contaminer des proches, ou pas.
"Pour ceux qui n'ont pas d'urgence, c'est malhonnête de prendre le risque de contaminer un pays où le système de santé est dans un état lamentable", estime Nabil, un Lillois de 32 ans d'origine tunisienne.
Mais l'absence de ces visiteurs va peser sur l'économie locale: la diaspora représente une manne cruciale dans le Maghreb.
Le Maroc a accueilli en 2019 plus de 2,9 millions de ceux qui sont appelés "MRE" pour Marocain résidant à l'étranger et qui participent largement au dynamisme du secteur immobilier en investissant pour leurs vacances ou leur retraite.
En Algérie, les séjours des "ARE" comprennent de plus en plus d'activités touristiques avec des dépenses moyennes de 500 à 2.000 euros par vacancier, estime Mourad Kezzar, consultant et formateur en tourisme.
En Tunisie, les "TRE" -- environ 500.000 personnes chaque été, selon les autorités -- ont apporté en 2019 quelque 5,3 milliards de dinars en devises (1,8 milliard d'euros), soit plus que le secteur du tourisme, selon la Banque centrale.