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La famine menace 8,5 millions de personnes au Soudan du Sud


Une mère tient dans ses bras sa fille d'un an souffrant de malnutrition sévère alors qu'elle est suivie par un médecin dans un hôpital géré par Médecins Sans Frontières à Old Fangak, dans l'État de Jonglei, au Sud-Soudan, mardi 28 décembre 2021.
Une mère tient dans ses bras sa fille d'un an souffrant de malnutrition sévère alors qu'elle est suivie par un médecin dans un hôpital géré par Médecins Sans Frontières à Old Fangak, dans l'État de Jonglei, au Sud-Soudan, mardi 28 décembre 2021.

Nyayiar Kuol berce sa fillette d'un an souffrant de malnutrition sévère. Elles ont dû voyager pendant 16 heures sur une barge bondée avant d’atteindre l'hôpital le plus proche de leur domicile dans cette région rurale du Soudan du Sud.

Pendant des mois, elle n'a nourri ses quatre enfants qu'une seule fois par jour, ne pouvant cultiver la terre à cause des inondations catastrophiques et ne bénéficiant pas d'une aide alimentaire suffisante de la part du gouvernement ou des groupes d'aide. Elle craint que sa fille ne meure.

"Je n’ose pas imaginer ce qui pourrait arriver", dit-elle.

Assise sur son lit d'hôpital dans la ville de Old Fangak, dans l'État de Jonglei, durement touché, Nyayiar Kuol, 36 ans, tente de calmer l’enfant. Près de deux ans se sont écoulés depuis que le Soudan du Sud a formé un gouvernement de coalition dans le cadre d'un accord de paix fragile visant à mettre fin à une guerre civile de cinq ans qui a plongé des poches du pays dans la famine, et pourtant Kuol dit que rien n'a changé.

"Si ce pays était vraiment en paix, il n'y aurait pas la faim comme maintenant", dit-elle.

Selon les groupes d'aide, le nombre de personnes qui souffriront de la faim cette année au Sud-Soudan sera plus élevé que jamais. Cela est dû aux pires inondations depuis 60 ans, ainsi qu'au conflit et à la lenteur de la mise en œuvre de l'accord de paix qui a privé une grande partie du pays de services de base.

"L'année 2021 a été la pire année depuis l'indépendance de ce pays et 2022 sera pire. L'insécurité alimentaire atteint des niveaux horribles", selon Matthew Hollingworth, représentant du Programme alimentaire mondial au Soudan du Sud.

Hausse de 8% en un an

Bien que le dernier rapport sur la sécurité alimentaire établi par les groupes d'aide et le gouvernement n'ait pas encore été publié, plusieurs responsables de l'aide connaissant bien la situation disent que les données préliminaires montrent que près de 8,5 millions de personnes - sur les 12 millions que compte le pays - seront confrontées à une faim sévère, soit une augmentation de 8 % par rapport à l'année dernière. Ces responsables se sont exprimés sous couvert d'anonymat car ils n'étaient pas autorisés à parler aux médias.

Les responsables de l'aide humanitaire affirment que le comté de Fangak, le plus touché, est aujourd'hui aussi mal en point que le comté de Pibor l'était à la même époque l'année dernière, lorsque les experts en sécurité alimentaire ont déclaré que quelque 30 000 résidents de Pibor risquaient de connaître la famine.

Lors de voyages dans trois États du Soudan du Sud en décembre, certains civils et responsables gouvernementaux ont fait part de leur inquiétude quant au fait que les gens commençaient à mourir de faim.

En octobre, une mère et son enfant sont morts dans le village de Pulpham parce qu'ils n'avaient pas de nourriture, selon Jeremiah Gatmai, le représentant humanitaire du gouvernement à Old Fangak.

Près d'un million de personnes à travers le Sud-Soudan ont été affectées par les inondations, selon les Nations unies, qui, l'année dernière, ont dû réduire de moitié l'aide alimentaire dans la plupart des endroits en raison de contraintes financières, affectant ainsi quelque 3 millions de personnes.

Selon l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), deux années d'inondations ont empêché les gens de cultiver et ont tué plus de 250 000 têtes de bétail dans le seul État de Jonglei.

Certaines familles déplacées à Old Fangak ont déclaré que les nénuphars constituaient leur seul repas quotidien. "Nous mangeons une fois par jour, le matin, puis nous dormons sans nourriture", a déclaré Nyaluak Chuol. La jeune femme de 20 ans, comme d'autres, a perdu son filet de pêche dans les inondations. Quand elle a assez d'argent, elle paie un garçon pour qu'il pêche à sa place.

De jeunes garçons tiennent des paquets de petits poissons à Wau Shilluk, dans l'État du Nil supérieur, au Sud-Soudan, ce jeudi 23 décembre 2021.
De jeunes garçons tiennent des paquets de petits poissons à Wau Shilluk, dans l'État du Nil supérieur, au Sud-Soudan, ce jeudi 23 décembre 2021.

De nombreux habitants de Jonglei ont fui vers les États voisins pour trouver de la nourriture et un abri, mais ils n'ont guère trouvé de répit. Dans la ville de Malakal, quelque 3 000 personnes déplacées se sont entassées dans des bâtiments abandonnés ou se sont abritées sous des arbres, sans rien à manger.

"Nous mangeons des feuilles et nous ressemblons à des squelettes", dit Tut Jaknyang, un sexagénaire

Au nord de Malakal, dans la ville de Wau Shilluk, le nombre d'enfants souffrant de malnutrition se présentant au centre médical est passé de 10 entre janvier et juillet à 26 entre août et décembre, selon Christina Dak, un agent de santé de l'International Medical Corps.

Impasse politique

Si les inondations sont le principal facteur de la faim, celle-ci est aggravée par l'impasse dans laquelle se trouve le gouvernement, les deux principaux partis politiques du pays tentant de se partager le pouvoir.

À Malakal, les responsables locaux alignés sur l'opposition ont accusé les membres du parti du président de longue date, Salva Kiir, de les affaiblir en bloquant les nominations politiques et en les empêchant de licencier le personnel corrompu, ce qui rend difficile la gouvernance et la fourniture de services.

"Nous ne travaillons pas comme une seule équipe. Personne ne fait attention à la population", avoue Byinj Erngst, ministre de la santé de l'État du Nil supérieur.

Les combats en cours entre les milices pro-gouvernement et celles de l'opposition dans le sud-ouest, grenier à blé du pays, ne font qu'ajouter aux tensions politiques.

Le porte-parole du gouvernement, Michael Makuei, dit que certains secours tels que les services médicaux se poursuivent, mais que l'aide que les autorités nationales peuvent apporter est limitée. "Les inondations ont détruit les récoltes, que peut faire le gouvernement dans ce cas ?" dit-il.

Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, s'exprime lors d'une conférence de presse à Juba, le 9 juillet 2021.
Le président du Soudan du Sud, Salva Kiir, s'exprime lors d'une conférence de presse à Juba, le 9 juillet 2021.

La frustration des observateurs est croissante. Dans un discours prononcé devant le Conseil de sécurité de l'ONU en décembre, le chef de la mission de l'ONU au Sud-Soudan, Nicholas Haysom, a mis en garde contre un effondrement de l'accord de paix si toutes les parties ne renouvellent pas leur volonté politique.

"Il n'y a pas de ressources, pas de récolte et pas de vaches, il n'y a pas d'endroit où chercher de la nourriture", lance pour sa part une humanitaire.

Le Soudan du Sud est devenu indépendant après s'être séparé du Soudan en 2011. Depuis lors, les différentes factions ne parviennent pas à s'entendre sur la manière de gérer ensemble ce pays producteur de pétrole.

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