Ce durcissement de ligne a suscité l'hostilité de certaines ONG et militants de gauche, le Défenseur des droits, Jacques Toubon, a mis en garde contre un risque de "tri" dans les centres d'hébergement où le gouvernement veut opérer un recensement.
Lundi, deux grands mouvements chrétiens, le Secours catholique (Caritas France) et la Fédération de l'entraide protestante (FEP), ont fustigé "un renoncement sans précédent aux valeurs et aux traditions humanistes de la République", dans une lettre adressée au président français Emmanuel Macron.
Djamel, un ancien épicier centrafricain de 42 ans, est arrivé lundi en France avec sa femme Korba et leurs quatre enfants. "J'ai passé quatre dans un camp" du Haut-commissariat aux réfugiés des Nations unies(HCR) à N'Djamena, "on était 1.000 là-bas", explique-t-il à l'AFP.
Il fait partie d'un groupe de dix-neuf personnes - des Soudanais pour la plupart - que la France est allée chercher au Tchad. D'autres suivront via ce nouveau dispositif qui doit permettre d'accueillir 3.000 réfugiés africains d'ici 2019.
L'idée est "d'empêcher que des personnes ne se mettent en danger en prenant la mer, à partir de la Libye notamment", plaident les autorités françaises. Mais dans le même temps, elles ne cachent pas leur volonté de contrôler très strictement les flux migratoires.
"La République française a été fondée sur une tradition d'accueil et d'asile. J'y suis profondément attaché", a réaffirmé récemment M. Macron. Mais "je souhaite que (...) nous reconduisions de manière intraitable celles et ceux qui n'ont pas de titre" de séjour, a-t-il martelé.
La France a enregistré 85.000 demandes d'asile l'an dernier dont 36.000 ont été acceptées. Les éloignements d'étrangers en situation irrégulière ont augmenté de 14% sur les 11 premiers mois de l'année, a souligné lundi le ministre de l'Intérieur Gérard Collomb.
Un texte de loi est actuellement en préparation, afin de répondre à l'"exigence de fermeté et d'efficacité", avait rappelé M. Collomb dans une circulaire fin novembre.
Dans un contexte de "crise migratoire sans précédent" depuis 2014, "si nous ne prenions pas un certain nombre de mesures, nous serions confrontés à une situation insupportable", a-t-il récemment déclaré.
Dans un pays où le parti d'extrême droite Front national a multiplié les succès électoraux, propulsant sa candidate Marine Le Pen au second tour de la présidentielle, le gouvernement centriste veut visiblement donner des gages à une opinion publique souvent défiante vis-à-vis de l'immigration.
Lundi, le Front national s'est "félicité" que "le problème majeur de l'immigration soit posé" en France, y voyant une "victoire politique".
Pour l'éditorialiste du journal de gauche Libération, Alexandra Schwartzbrod, "la patrie des droits de l'Homme ne songe plus qu'à fermer ses frontières et à expulser en masse".
"Les élections allemandes sont passées par là, elles ont montré ce qu'il en coûte aux politiques d'ouvrir grand les portes à la misère du monde. Angela Merkel a bien failli y laisser son fauteuil de chancelière", analyse-t-elle.
La première économie européenne avait accueilli quelque 890.000 migrants en 2015, ce qui a placé l'immigration au premier rang du débat politique et contribué à la montée en puissance du parti d'extrême droite AfD. Ce nombre est tombé à 280.000 en 2016.
Le gouvernement français a notamment décidé de mener un recensement dans les centres d'hébergement d'urgence, pour réorienter les occupants en fonction de leur situation (réfugiés, déboutés...), s'attirant la colère des associations du secteur qui craignent un renvoi massif de sans-papiers.
Celles-ci ont dénoncé lundi une volonté de "contrôle généralisé des personnes étrangères" dans le but "de les identifier et de procéder à un examen contraint de leur droit au séjour en France".
"On refuse de faire le tri", a prévenu ces derniers jours Florent Gueguen, directeur de la Fédération des acteurs de la solidarité. "Si les centres deviennent des pièges à migrants, un certain nombre d'associations vont se retirer des dispositifs, et les migrants eux-même n'iront plus", a-t-il prédit.
Dans les Alpes françaises, élan de solidarité envers les migrants en danger de mort
Dans ce paradis blanc, coupé du monde durant trois jours la semaine dernière, plus d'un mètre de neige est tombé. "Y'a tout le catalogue des dangers pour qu'il y ait des drames. Alors pour des gens qui ne connaissent pas la montagne...", soupire Jean-Gabriel, chaudement emmitouflé. "Bientôt, on va retrouver un mort." Jean-Gabriel Ravary, guide de haute montagne depuis 42 ans, habite Névache, village du bout de la vallée de la Clarée dans les Alpes françaises, où de plus en plus de migrants font naufrage dans la neige et le froid.
Le guide regarde en direction du col de l'Echelle, ce passage à 1.762 mètres d'altitude, à quelques kilomètres de la frontière italienne. Les températures y descendent souvent à moins 20°C, sans compter le vent qui s'y engouffre.
Le versant italien, qu'empruntent les migrants surtout des Africains, "jeunes et costauds" est avalancheux, et sujet aux chutes de pierres. Côté français, l'hypothermie guette, sans compter le risque de se perdre, car les panneaux indicateurs ont été retirés et certains s'égarent vers le fond de la vallée, croyant gagner Briançon, ville de 12.000 habitants, la plus haute de France, située à 1.326 mètres d'altitude.
D'autres exilés tentent le passage plus simple par la route et le col du Montgenèvre mais les patrouilles incessantes de gendarmes les poussent à se cacher.
"Cet hiver, on a parfois jusqu'à 10 ou 12 arrivées par jour", explique Alain Mouchet, qui organise les maraudes nocturnes quotidiennes avec des bénévoles équipés de matériel de secours. "Les gendarmes sont autant emmerdés que nous : ils ne se sont pas engagés pour courir derrière des gamins dans la neige."
Les professionnels de la montagne ont organisé dimanche une "cordée solidaire" et manifesté sous une banderole "SOS Alpes Solidaires", en écho à "SOS Méditerranée" qui secourt les bateaux de migrants, pour revendiquer leur devoir d'assistance à personne en danger.
Un jeune de Guinée Conakry a d'ailleurs été retrouvé pendant la manifestation. Il a été sorti d'un couloir d'avalanche par hélitreuillage du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM). Il était pieds nus dans la neige.
Moussa, revu quelques heures plus tard sur son lit d'hôpital à Briançon, avait commencé l'ascension du col de l'Echelle à 5 heures du matin. Il s'en tire avec des gelures au pied gauche.
Etienne, accompagnateur en montagne, qui l'avait localisé, lui a dit "Bienvenue en France". "Mais j'ai peur de lui avoir menti", s'émeut-il.
"Il a connu l'enfer en Libye, en Méditerranée, et peut-être encore ici, chez nous, en France."
L'arrivée des migrants, toujours plus nombreux depuis l'hiver dernier, a suscité un élan chez certains citoyens : les communes autour de Briançon comptent 22.000 habitants et la liste de diffusion de l'association locale "Tous Migrants" dispose de 1.350 adresses. Environ 4.000 nuitées ont été assurées depuis moins d'un an chez les citoyens, selon le réseau d'hospitalité "Welcome".
Pierre Mumber en fait partie. "Quand j'entendais parler des naufrages en Méditerranée, ça me semblait encore loin. Et là, ils sont arrivés chez nous."
Pour cet accompagnateur en montagne de 53 ans, "on ne peut pas dormir tranquille sachant qu'au bout de la route il y a peut-être des gens en perdition".
Comme ses collègues, il dénonce la "réponse assassine" de l'Etat à la frontière. Un médecin du centre hospitalier de Briançon appelle "les forces de l'ordre à se mettre en retrait pour ne pas aggraver des choses assez graves déjà."
"Je ne suis pas un anarchiste (...) mais il faut être capable de désobéir", insiste Max Duez, membre de la cellule médicale créée depuis l'afflux de migrants.
Cette permanence d'accès aux soins de santé (PASS), ouverte avec l'accord de l'Agence régionale de santé au sein de l'hôpital, bénéficie aussi aux SDF de la ville et aux saisonniers. "Et c'est grâce aux migrants", souligne le Dr Duez.
Avec AFP