De la peine la plus lourde à l'acquittement: la chambre d'appel a prononcé un revirement spectaculaire qui remet en question la capacité de la justice internationale à prouver la responsabilité des commandants militaires.
Jean-Pierre Bemba, ancien riche homme d'affaires devenu chef de guerre puis vice-président, avait été condamné en première instance en 2016 à 18 ans de prison en première instance, la peine la plus lourde jamais imposée par la CPI, pour les meurtres, viols et pillages commis en Centrafrique par sa milice, entre octobre 2002 et mars 2003.
"Pour la lutte contre l'impunité, cette décision est très décevante. Elle affaiblit sérieusement la capacité de la justice internationale à condamner des gens comme Bemba", explique à l'AFP Stephen Rapp, ex-ambassadeur itinérant pour les Etats-Unis chargé des crimes de guerre.
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Tout en respectant la décision des juges, M. Rapp considère que la CPI, fondée en 2002 pour juger les pires crimes commis à travers le monde, s'est mise "en danger" et risque de "perdre de sa pertinence".
- Défaite -
La chambre d'appel a estimé que M. Bemba, qui n'était pas lui-même présent en Centrafrique lors des faits, n'aurait pas pu contrôler les agissements de sa milice, le Mouvement de libération du Congo (MLC), à distance.
"La CPI semble dire aux chefs de guerre: tant que vous n'êtes pas sur les lieux, laissez donc vos troupes commettre les pires crimes et les pires abominations", s'est exclamée Karine Bonneau de la Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme (FIDH).
Seize ans après sa création, "la CPI vient-elle de s'auto-saborder?", s'est-elle interrogée quelques instants après la lecture de l'acquittement.
Le procès de M. Bemba, qui s'est ouvert à La Haye en novembre 2010, était le premier de la CPI mettant en avant la responsabilité d'un commandant militaire quant à la conduite des troupes sous son contrôle.
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Cette responsabilité n'a pas été prouvée, selon les juges de la chambre d'appel.
"C'est une défaite pour la CPI et une illustration de l'immense complexité pour arriver à prouver la responsabilité de quelqu'un comme Bemba", indique Marieke de Hoon, professeur de droit international à l'Université d'Amsterdam.
- Pas des justiciers -
Mais la jeune juriste appelle à rester "réaliste" et à ne pas tirer à boulets rouges sur la CPI, qui "n'est pas une commission de la vérité" ni un repère de justiciers.
"Il s'agit d'une cour pénale chargée d'appliquer le droit international. Les éléments pour prouver la responsabilité de M. Bemba n'ont pas été produits? Impossible alors de le condamner", explique-t-elle auprès de l'AFP.
L'opinion publique veut tellement rendre justice aux nombreuses victimes des criminels de guerre que les attentes placées en la CPI dépassent le cadre du droit, avance Mme de Hoon.
Tout comme M. Rapp, elle propose une plus ample collaboration avec les tribunaux dans les pays concernés pour poursuivre non seulement les chefs de guerre mais également les auteurs des crimes.
L'incapacité de la chambre d'appel à confirmer une condamnation à cause de "trous" dans l'argumentaire de l'accusation illustre également le manque de moyens humains et financiers à la CPI pour consolider ses investigations.
- Faiblesse -
"Cet acquittement montre la faiblesse de la Cour, qui n'est pas assez efficace. Il faudrait davantage d'équipes d'investigation sur place", indique Stephen Rapp.
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"Nous ne pouvons pas questionner le droit international ni son interprétation des juges. Il s'agit de consolider les argumentations afin de permettre que de tels cas ne se reproduisent pas", poursuit-il.
Par l'acquittement surprise de Jean-Pierre Bemba, les juges ont pris une décision spectaculaire, historique. Et "courageuse": "les juges se sont sabordés et ont porté un sérieux coup à la légitimité et à la crédibilité de la CPI en apportant de l'eau au moulin de ses détracteurs", souligne Marieke de Hoon. "Mais le dossier de l'accusation comportait vraiment trop de faiblesses. Cette décision les honore".
Malgré "l'amertume" du dénouement de cette affaire, "le droit a été respecté, et c'est le seul chemin que la CPI doit suivre".
Avec AFP