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La liberté de la presse "bulldozée" en Tanzanie


John Magufuli lors d'un meeting électoral à Dar es Salaam, 23 octobre 2015.
John Magufuli lors d'un meeting électoral à Dar es Salaam, 23 octobre 2015.

Depuis l'élection en octobre 2015 du président John Magufuli, dont les opposants dénoncent les tendances autocratiques, la Tanzanie a réduit sérieusement l'espace d'expression des journalistes, de plus en plus réprimés dans l'exercice de leur métier.

Dans son classement mondial de la liberté de la presse publié le 26 avril, à quelques jours de la journée mondiale de la liberté de la presse de mercredi, Reporters sans Frontières (RSF) fait reculer la Tanzanie de 12 places, de la 71e à la 83e.

Il s'agit de la seconde baisse la plus importante dans le monde, après le Nicaragua (-17, 92e).

Surnommé "tingatinga" - "bulldozer" en kiswahili - le président Magufuli a marqué les esprits depuis sa prise de fonctions en se montrant inflexible dans la lutte contre la corruption.

Mais son style peu consensuel et même abrupt lui vaut d'être désormais qualifié d'autocrate et de populiste par ses détracteurs.

"Le nouveau président tanzanien John Magufuli ne tolère aucune critique de lui-même ou de son programme", écrit ainsi RSF dans un commentaire accompagnant son classement.

Pour les professionnels des médias tanzaniens, son arrivée au pouvoir a incontestablement marqué une dégradation de leur situation.

"La liberté de la presse est de plus en plus limitée. Nous sommes confrontés à beaucoup de difficultés", confie à l'AFP le juriste-journaliste et ancien diplomate tanzanien Jenerali Ulimwengu.

Il évoque en particulier une loi votée en 2016, le Media Services Act, qui selon lui "empêche les gens de pratiquer du journalisme indépendant".

"Certaines dispositions de cette loi accordent aux représentants du gouvernement des pouvoirs étendus pour contrôler la liberté de la presse", regrette ce journaliste chevronné.

"Nous nous plaignions lors des régimes précédents. Mais aujourd'hui, on commence vraiment à suffoquer", renchérit, sous couvert de l'anonymat, un reporter du quotidien en swahili Mwananchi.

"On ne peut même plus dénoncer les abus d'un membre de l'entourage du président, car le président se sent lui-même visé", dit-il, citant le cas de Maxence Melo, fondateur de JamiiForums, l'un des forums d'information les plus suivis en Tanzanie.

'L'autocensure se généralise'

Arrêté le 14 décembre 2016, M. Melo est aujourd'hui poursuivi pour avoir refusé de divulguer l'identité des sources lui ayant permis de révéler plusieurs scandales de corruption impliquant des sociétés privées proches du pouvoir.

"L'arrivée au pouvoir du président Magufuli a marqué un durcissement vis-à-vis des médias; plusieurs radios ont été suspendues en l'espace de quelques mois et une dizaine de personnes sont poursuivies en raison de leurs publications sur les réseaux sociaux", écrivait RSF au lendemain de l'arrestation de M. Melo.

En août 2016, le Comité de protection des journalistes (CPJ) observait déjà que "le gouvernement de Magufuli a pris une série de mesures visant à restreindre l'environnement médiatique en Tanzanie".

La situation aujourd'hui est telle que nombre de journalistes sont résignés.

"Que peut changer ma plume dans un pays où même les députés sont arrêtés pour avoir critiqué +l'infaillible+ président?", s'interroge l'un d'eux, travaillant pour le quotidien privé The Guardian, pour qui "l'autocensure se généralise".

Des organisations tanzaniennes ont tenté de réagir en lançant, début mars, une campagne nationale d'une année qui appelle les forces de l'ordre et les autorités à garantir, entre autres, le respect de la liberté d'expression.

"Depuis 2015, des lois ont été votées qui restreignent la liberté d'expression en Tanzanie", affirment ces organisations conduites par le Centre juridique et des droits de l'homme (LHRC), principale ONG tanzanienne de défense des droits de l'homme.

Au nombre des lois décriées, ces organisations citent, elles aussi, le Media Services Act 2016. Selon elles, cette loi est trop vague dans sa définition du journaliste, qui peut inclure des blogueurs ou tous ceux qui postent des informations sur les réseaux sociaux.

L'obligation d'enregistrement des journalistes prévue dans cette loi constitue aussi une restriction à la liberté d'expression, selon ces organisations.

Le 13 janvier dernier, le président Magufuli s'en était pris à deux journaux qu'il s'était cependant gardé de nommer.

Il avait averti qu'il ne tolérerait pas la publication d'articles "susceptibles de mettre en péril la paix de la nation comme cela s'est passé au Rwanda, où ce genre d'incitation a conduit au génocide" qui avait fait environ 800.000 morts en 1994, selon l'ONU.

"Cela ne se passera pas ainsi sous mon mandat", avait prévenu M. Magufuli, dont les accents autoritaires rappellent justement ceux du président rwandais Paul Kagame, homme fort de son pays depuis 1994.

Avec AFP

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