Après l'attaque qui a fait samedi plus de 140 morts et 500 blessés dans la capitale contrôlée par les rebelles Houthis, Ryad a accusé ces derniers d'avoir tiré dimanche deux missiles depuis des territoires qu'ils contrôlent sur un destroyer américain en mer Rouge.
Sans accuser directement les Houthis, le commandement central des forces navales américaines a fait état de ces tirs qui n'ont pas atteint le destroyer et n'ont fait ni victime ni dégât.
La perspective d'un cessez-le-feu immédiat "a certainement" disparu avec l'attaque de samedi sur Sanaa, estime April Alley, spécialiste du Yémen à l'International Crisis Group. Elle "aura des conséquences à long terme sur la possibilité d'élaborer un plan de paix durable", prévient-elle.
L'attaque, qui a touché une cérémonie funéraire organisée après le décès du père d'un "ministre" du gouvernement des forces rebelles, semble avoir tué "un certain nombre d'hommes politiques du Nord et d'officiers qui travaillaient pour la paix", estime l'experte.
Les rebelles ont immédiatement mis en cause la coalition arabe conduite par Ryad qui a rejeté ces accusations avant d'annoncer une enquête sur ce bombardement, l'un des plus meurtriers depuis le début de l'intervention il y a 18 mois au Yémen.
Cette opération militaire, destinée à rétablir l'autorité du président Abd Rabbo Mansour Hadi sur l'ensemble du Yémen, s'éternise sans qu'une victoire ne se dessine. Elle met régulièrement sur la sellette l'Arabie saoudite en raison du nombre élevé de victimes civiles.
- 'Attaques odieuses' -
Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a réclamé lundi la création d'un organe indépendant pour enquêter sur les violations des droits de l'Homme au Yémen.
Son envoyé spécial pour le Yémen, Ismaïl Ould Cheikh Ahmed, a lui appelé à "tout mettre en oeuvre pour que les auteurs de ces attaques odieuses soient traduits en justice".
L'attaque a également embarrassé les Etats-Unis, alliés traditionnels de Ryad, et provoqué un appel téléphonique inhabituel du secrétaire d'Etat américain John Kerry au vice-prince héritier et ministre de la Défense saoudien, le prince Mohammed ben Salmane. M. Kerry a réitéré la nécessité d'une "cessation immédiate des hostilités", tandis que le prince saoudien s'est dit en faveur d'une trêve de 72 heures renouvelable à condition qu'elle soit acceptée par les rebelles.
Mais, pour Mustafa Alani, expert au Gulf Research Centre, Ryad n'a pas toutes les cartes en main.
"Le souhait de la coalition est de mettre fin à la guerre" le plus vite possible, affirme-t-il, mais "l'attitude des rebelles se durcit de jour en jour, car ils pensent pouvoir obtenir davantage".
Selon une source diplomatique, les rebelles n'ont montré, lors de négociations menées cet été sans résultats, aucune volonté de remettre les armes, contrairement à une exigence de l'ONU, parce qu'ils sont convaincus de "pouvoir l'emporter".
- Au bénéfice de l'Iran? -
Pour M. Alani, les Saoudiens comprennent qu'il n'y a pas de solution militaire, mais un accord politique semble actuellement impossible en raison de la position des Houthis.
Les rebelles ne viendront pas à la table de négociations, "avec une attitude raisonnable, sans dégradation de leur capacité militaire", affirme l'expert.
Pour Adam Baron, chercheur qui collabore à l'European Council on Foreign Relations, les Saoudiens vont donc probablement poursuivre leurs opérations.
"Nous avons vu les Saoudiens continuer de frapper, sans relâche, des cibles à Sanaa et ailleurs dans le pays", alors que les rebelles leur donnent une raison pour le faire en se livrant à des attaques à la frontière.
Lundi, trois combattants progouvernementaux ont été tués dans un raid aérien de la coalition mené "par erreur" contre leur position, selon des sources militaires loyalistes. D'autre part, dans la province de Chabwa (sud), deux combattants progouvernementaux ont péri dans une attaque rebelle lancée autour de la région pétrolière d'Usaylan, que se disputent les deux camps.
La situation sur le terrain embarrasse Washington, qui fournissait des bombes de précision, des renseignements et des conseils aux Saoudiens.
Mais cette assistance a été "réduite de manière significative" et ce qui reste fait maintenant l'objet d'un réexamen, a indiqué ce week-end Ned Price, porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche.
M. Alani estime que l'arrêt du soutien américain rendrait très difficile, voire impossible, la poursuite des opérations de la coalition. Et, dans ce cas, il conduirait à accroître l'influence au Yémen de l'Iran, grand rival régional de l'Arabie saoudite.
Le gouvernement de Téhéran, accusé d'armer les Houthis, ce qu'il nie, a vivement réagi au raid de samedi en condamnant un "crime épouvantable contre l'humanité".
Avec AFP