Lorsque Geraldine Mbia Enu a fui en février 2018 le conflit séparatiste sévissant dans son village dans l'ouest du Cameroun, elle a marché avec ses trois enfants pendant sept jours à travers la brousse jusqu'au Nigeria voisin, la peur et la faim au ventre.
Et comme si cela ne suffisait pas, au premier jour de cet éreintant périple, Mme Mbia Enu a eu ses règles. "Quand nous avons fui, nous n'avons presque rien emporté avec nous", raconte cette femme de 33 ans.
Alors que les coups de feu entre l'armée et les séparatistes se rapprochaient de sa maison, elle a réuni ses affaires dans l'urgence, sans penser à prendre avec elle des protections hygiéniques, et s'est vue contrainte d'utiliser des langes de son bébé. "D'autres femmes découpaient des morceaux dans des tissus un peu absorbants qu'elles avaient emportés", se souvient-elle.
Mais une fois arrivées au Nigeria, loin des combats et de l'urgence, le cycle menstruel représente une difficulté de plus pour ces réfugiées camerounaises qui ont tout perdu – maison, emploi et sources de revenu – et doivent tout recommencer de zéro.
Depuis 2018, Magdalene Ajili vit dans un des trois camps de réfugiés établis à Ogoja, dans l'est du Nigeria, avec sa grand-mère de 86 ans, ses deux filles et leurs deux jeunes enfants.
"Je suis la cheffe de ménage", lance fièrement cette femme qui en fuyant en 2017 son village a perdu "la trace de son mari, qui a couru dans une autre direction".
"Nourrir ma famille"
"Aujourd'hui, je n'ai pas assez d'argent pour nourrir ma famille, je dois d'abord couvrir les besoins de mes enfants", explique-t-elle. Alors acheter des serviettes hygiéniques "est beaucoup trop cher" et loin d'être sa priorité.
Chaque réfugié camerounais au Nigeria reçoit du Haut Commissariat pour les Réfugiés (HCR) 2.600 nairas par mois (5,7 euros). Un paquet de serviettes hygiéniques coûte plus de 600 nairas (1,3 euros), soit un cinquième de ce budget mensuel.
"La plupart des réfugiées ne peuvent pas se le permettre", explique à l'AFP Mmone Moletsane, une responsable du HCR au Nigeria. Alors pour faire face à leurs besoins, l'agence onusienne et ses partenaires leur distribuent des serviettes hygiéniques lavables et réutilisables.
"Je préférais les jetables que l'on utilisait au Cameroun, mais celles-ci font l'affaire", explique Christabel, 16 ans.
Magdalene Ajili a aussi reçu un pack lors de son arrivée dans un des camps à Ogoja, et se dit plutôt satisfaite. Après trois ans d'utilisation, elle aimerait cependant en changer. "Elles commencent parfois à m'irriter", confie-t-elle.
Faute de fonds pour répondre à la crise, l'ONU et les associations humanitaires n'ont pas les moyens pour leur renouveler ces packs, ni même pour en distribuer à toutes les réfugiées.
La majorité vit en dehors des camps établis par le HCR, et nombreuses sont celles qui n'en ont jamais reçues. Alors elles utilisent ce qu'elles trouvent, des bouts de tissu pour la plupart, avec le risque de développer des infections urinaires ou vaginales.
Rater l'école
A cause de ce manque de protections hygièniques "certaines jeunes filles manquent l'école lorsqu'elles ont leurs règles", déplore Mme Molestane. Les plus âgées peuvent parfois rater des opportunités professionnelles.
Ici, comme dans la plupart des pays dans le monde, les règles restent un tabou, souligne Mme Molestane.
Pour produire et distribuer davantage de serviettes hygiéniques réutilisables, plusieurs réfugiées, couturières de profession, ont reçu une formation pour en fabriquer.
C'est le cas de Géraldine Mbia Enu, qui en a cousu près d'une centaine avec les matériaux fournis par l'ONG Save the Children. L'association lui a ainsi acheté ses serviettes, distribuées ensuite gratuitement à d'autres femmes réfugiées.
Dans son atelier, Mme Mbia Enu montre fièrement comment elle coud ces serviettes avec trois couches de tissu différentes, dont l'une imperméable, et qui se clippe directement sur les sous-vêtements grâce à un aimant. Trois serviettes réutilisables sont vendus 800 nairas (1,7 euros).
Mais hormis la commande de cette ONG, le petit commerce de Géraldine peine à décoller, avoue-t-elle. Ses voisines en ont déjà reçues gratuitement et elles n'ont pas les moyens de lui en racheter.
Déterminée, l'entrepreneuse a utilisé ses maigres économies pour se rendre sur le grand marché d'Ikom, une ville à 90 kilomètres, et convaincu un détaillant de lui acheter un stock pour 10.000 naira (22 euros).
"Il pense que mes produits pourraient intéresser les femmes nigérianes", dit-elle, pleine d'espoir. Car la précarité menstruelle ne touche pas que les réfugiées camerounaises au Nigeria, mais des millions de femmes à travers le pays.
Le Nigeria fait face à une très forte inflation, et comme tous les produits, les prix des serviettes hygiéniques jetables ont augmenté. Selon les autorités, 37 millions de femmes au Nigeria n'ont pas accès à des protections hygiéniques en raison de leur coût élevé.
par Camille MALPLAT