Longtemps accusée de complaisance envers l'EI, la Turquie a changé de tactique et porté des coups à ce groupe extrémiste en se joignant notamment en août 2015 à la coalition internationale antijihadistes dirigée par les Etats-Unis.
Quelle était la politique d'Ankara à l'égard de l'EI?
L'EI a longtemps acheminé via la Turquie, accusée alors de fermer les yeux, hommes et matériel en Syrie afin de combattre la régime de Bachar al-Assad ainsi que les rebelles et ses frères ennemis du Front al-Nosra, la branche syrienne d'Al-Qaïda.
Le président Recep Tayyip Erdogan, un musulman sunnite de la mouvance des Frères musulmans, a ouvertement prôné la chute de son ancien ami, Bachar al-Assad, issu de la communauté alaouite, une secte hétérodoxe.
Il a soutenu toutes les composantes de la rébellion depuis le début de la guerre civile en Syrie qui a fait plus de 280.000 morts et des millions de déplacés ou de réfugiés.
Le régime syrien et son allié russe ont accusé la Turquie d'avoir, ces dernières années, permis le trafic d'armes et de pétrole volé mené par l'EI à travers ses frontières avec la Syrie et l'Irak. Fin 2015, l'ONU a demandé à la Turquie de lutter "totalement et concrètement contre les trafics" de l'EI.
Les Occidentaux avaient eux aussi dénoncé la mansuétude du régime Erdogan dans la lutte contre les filières qui alimentent l'EI en combattants étrangers. La Turquie s'en était offusquée.
En juin 2014, un député de l'opposition turque, Ali Edibogluan, a affirmé que les jihadistes avaient vendu pour 800 millions de dollars de brut en Turquie.
Pourquoi a-t-elle changé?
En août 2015, la Turquie a rejoint la coalition internationale dont les bombardements avec ceux de la Russie ont réduit les revenus pétroliers de l'EI qui occupe en Syrie une vaste bande territoriale dont d'importants champs pétroliers.
Auparavant, elle avait resserré ses contrôles dans les aéroports et à sa frontière. Sa police avait aussi démantelé les cellules jihadistes après trois attentats meurtriers attribués à l'EI sur le sol turc dont celui qui a visé la gare centrale d'Ankara le 10 octobre (103 morts).
Les échanges d'informations de sécurité entre la Turquie et l'étranger se sont en outre améliorés.
Ankara, qui combat les indépendantistes kurdes sur son territoire, n'avait pas réagi lors des batailles menées par les Kurdes syriens contre l'EI qui a perdu du terrain depuis 2014.
Pour Aron Stein, chercheur à l'Atlantic council, "l'EI accuse la Turquie d'aider la milice kurde (syrienne) des YPG et a blâmé ce pays de la perte de ses territoires le long de la frontière depuis la bataille de Kobané", localité frontalière perdue en janvier 2015 par les jihadistes.
Pourquoi Ankara accuse l'EI?
Bien qu'aucun groupe n'ait revendiqué l'attentat d'Istanbul, le Premier ministre turc Binali Yildrim a estimé que "les indices pointent sur Daech", un acronyme en arabe de l'EI.
Selon Soufian Group, "la Turquie est devenue un objectif prioritaire de l'EI. Ce pays est mentionné maintes fois dans Dabiq, le magazine en anglais de l'EI, et le président Erdogan figure en couverture du numéro 11 de la revue".
La Turquie estime que l'EI frappe où cela fait mal, surtout le tourisme, qui rapportait près de 30 milliards de dollars par an. "L'attaque est vraisemblablement l'oeuvre de l'EI qui veut ruiner l'économie turque en attaquant l'aéroport durant l'été, quand le tourisme est à son apogée", estime Ege Seckin, analyste au IHS Country Risk.
"Il s'agit de faire pression sur Ankara pour qu'elle empêche les Kurdes syriens de fermer le dernier accès à la Turquie", ajoute-t-il.
Pourquoi l'EI ne revendique pas?
L'EI, qui a l'habitude de revendiquer avec fierté et détails à l'appui ses attentats, est particulièrement discret lorsqu'il s'agit de la Turquie.
Contrairement aux indépendantistes kurdes, il n'a jamais endossé une attaque dans ce pays sauf contre des journalistes citoyens syriens.
"Il n'a jamais revendiqué explicitement d'attentats sur le sol turc pour ne pas entrer dans une guerre totale, espérant pouvoir encore tirer quelque chose du pouvoir turc", assure Romain Caillet, un expert français du jihadisme.
Vers une guerre totale?
L'attentat d'Istanbul pourrait marquer un tournant. "Cela pourrait marquer une escalade significative entre l'EI et la Turquie. Pendant longtemps leurs relations pouvaient s'apparenter à une Guerre froide", note Soner Cagaptay, directeur du programme de recherches turc au Washington Institute.
"Si l'EI est vraiment derrière, ce serait une déclaration de guerre et la vengeance de la Turquie s'abattra sur l'EI. Peut-être que la bataille de la Turquie contre l'EI va devenir inévitable", note-t-il.
Romain Caillet partage cette analyse. "Jusqu'à présent les attentats que l'on peut raisonnablement attribuer à l'EI visaient des manifestations prokurdes ou des touristes occidentaux et avaient pour but de maintenir la pression sur Erdogan, afin qu'il participe le moins possible à la guerre contre l'EI. Si l'EI est derrière l'attentat (d'Istanbul) un cap aura été franchi", dit-il.
Avec AFP