Selon Amnesty International Nigeria, plus d’un millier de villageois ont été tués dans le nord par des bandits dans un intervalle de six mois. En plus, pas moins de 78.000 agriculteurs dans les États du nord du pays ont abandonné leurs terres agricoles à la suite d'attaques de terroristes présumés et de bandits.
Les populations du Sud qui sont venues dans le Nord-Est vivent dans la peur au quotidien. Emmanuel Ali explique comment lui et sa famille ont été pris au piège par des coups de feu le mois dernier dans leur localité au sud de l’Etat de Kaduna.
Les meurtres sont devenus assez fréquents dans le nord. Les bandits armés s’en prennent généralement aux communautés, attaquant et tuant des résidents et incendiant leurs maisons.
"Après avoir mis le feu à notre maison, j’ai pris la fuite, mais j’ai eu le courage de revenir parce que ma maman est malade et paralysée depuis 6 ans. Elle était dans la maison lorsqu’ils ont mis le feu. Les flammes étaient presque arrivées à son niveau. J’ai enlevé la fenêtre par la force et je suis allé sortir ma mère", raconte-t-il.
Entre attaques et pillages
De nombreux villages dans l’Etat de Kaduna ont été pillés à la suite de ces attaques. Kaduna est composé de chrétiens et de musulmans. Les chrétiens vivent principalement dans le Sud tandis que les musulmans sont majoritairement dans le Nord.
Les villageois du sud de Kaduna disent que les assaillants sont des musulmans, principalement des éleveurs de bétail qui sont accusés d'utiliser leurs animaux pour détruire les récoltes.
Jonathan Asakéle, président de l’Union pour la défense du peuple du sud Kaduna (Sokapu), donne les raisons: "rien d’autre que le problème de terre. Les indigènes et propriétaires de ces terres sont en train d’être chassés de leurs terres graduellement. Les peuls nomades viennent occuper ces terres. C’est l’expérience que nous vivons dans nos communautés tous les jours".
Mais le gouverneur de l’Etat de Kaduna, El Rufai, donne une autre version des faits.
"Tout commence souvent entre un individu d’un groupe ethnique et un autre ou de différente religion", explique le gouverneur. "Ce conflit doit normalement être résolu pacifiquement par les leaders religieux ou la police ou d'autres autorités locales. Mais ça finit toujours par s’étendre et devenir un conflit entre groupes ethniques".
Les gouverneurs mis en cause
Le gouverneur El Rufai devait s’exprimer à la conférence annuelle du barreau nigérian. Mais l’invitation lui a été retirée par le leadership de l’organe.
Clément Chukwuemeka, qui dirige la branche d’Abuja, la capitale fédérale, pense qu’il est temps que certains leaders rendent des comptes.
"Si vous êtes un gouverneur, vous êtes le responsable chargé de la sécurité dans cet Etat particulier. Vous aviez prêté serment pour défendre vos citoyens", explique-t-il. "Il est temps que nous commencions à interroger certains de nos leaders".
Les auteurs de ces assassinats ne sont pas encore connus ni arrêtés et les populations accusent les autorités de l’Etat de ne rien faire.
Il y a deux semaines, des agents de sécurité à Kaduna ont arrêté huit personnes soupçonnées d'être impliquées dans les meurtres.
Il s'agissait de la première arrestation majeure par les troupes de l'opération Safe Haven - une force opérationnelle militaire spéciale, déployée pour maintenir la paix dans la région.
Un appel au président du Nigeria
L’Etat de Kaduna n’est pas le seul Etat victime d’attaques dans le Nord. Selon Amnesty International Nigeria, sept Etats sont touchés. Le constat est alarmant: plus de 1.000 résidents ont été assassinés dans un intervalle de six mois et quelque 380 autres enlevés.
Certains ont été libérés par rançon et d’autres tués par leurs ravisseurs. Des attaques qui constituent aussi un coup dur pour les agriculteurs du nord, la principale activité de ces populations, obligeant 78 000 à abandonner leurs terres agricoles de peur de se faire attaquer.
La mission des Nations unies au Nigeria se dit préoccupée. Une délégation onusienne est allée voir le président Muhammadu Buhari au sujet de l’épineuse question le week-end dernier.
Edward Kallon a conduit la délégation à la villa présidentielle: "j’ai dit au Président qu’en plus des efforts militaires, il faut compléter cela par un processus politique de dialogue pour trouver une solution durable à la crise. Donc nous pensons qu’il faut employer différents moyens pour trouver une solution".
Ces meurtres ont récemment déclenché des manifestations dans certains Etats notamment à Kaduna, Abuja et Lagos par des habitants des communautés locales.