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Le bus Beyrouth-Raqa, rare pont vers les territoires de l'EI


Raqa Refugees in Rojava
Raqa Refugees in Rojava

"Raqa! Minbej! Al-Bab!": dans une gare de Beyrouth, des chauffeurs de bus hèlent bruyamment les rares passagers qui osent entreprendre le périple surréaliste entre la capitale la plus décontractée du monde arabe et ces villes syriennes où règne la terreur jihadiste

La peur se lit sur le visage d'Abou Ali, qui fait la navette entre Beyrouth et Minbej (nord), un des bastions du groupe extrémiste Etat islamique (EI) qui a proclamé en 2014 un califat sur des territoires conquis en Syrie et en Irak.

"Juste avant d'arriver au premier barrage de Daech (acronyme en arabe de l'EI), tout le monde jette sa cigarette et on parfume le bus pour qu'il ne sente pas le tabac. Sinon on se fait fouetter!", raconte ce quarantenaire, qui était déjà dans le métier avant le début en 2011 du conflit syrien.

Les jihadistes, qui appliquent leur propre interprétation extrême de l'islam, ne se contentent pas d'inspecter les bus à la recherche de cigarettes suspectes.

"Ils reniflent même nos mains pour s'assurer que nous n'avons pas fumé", explique Jawad qui, comme Abou Ali, utilise un pseudonyme.

Se tenant à côté de son bus dans la gare Charles-Hélou près du port de Beyrouth, un autre chauffeur prie les journalistes de l'AFP de ne filmer ni son visage ni la plaque d'immatriculation, par peur de représailles.

"Ces gens-là sont dangereux et peuvent reconnaître le bus au moindre détail", dit-il.

- 'Nescafé, jouets et vêtements' -

Ce trajet est l'un des rares reliant le territoire contrôlé par l'EI au monde extérieur. Depuis l'expansion de l'EI en Syrie il y a trois ans, les bus font des allers-retours deux fois par semaine, avec parfois trois passagers seulement.

C'est un voyage surréaliste vers des villes où les jihadistes décapitent et flagellent pour le simple fait de fumer ou pour ce qu'ils considèrent comme une tenue inappropriée.

"Les femmes ont toujours dans leur sac un voile intégral qu'elles portent avant d'arriver au premier barrage de l'EI", situé sur la route entre Dmeir (province de Damas) et Palmyre (centre), explique Abou Ali.

Quant aux hommes, ils sont obligés de retrousser le bord de leurs pantalons pour être conformes aux règles vestimentaires édictés par les jihadistes.

Les conducteurs font également office de livreurs pour ceux souhaitant envoyer à leurs proches de la nourriture, des vêtements ou des médicaments qui n'existent plus en terre jihadiste, ainsi que de l'argent.

"Ils rapportent au pays du café, du Nescafé, des jouets et des vêtements d'enfants", précise Mohammad, un conducteur de retour de Minbej.

Selon Abou Ali, "la mortadelle par exemple est strictement interdite car ils ne peuvent pas s'assurer que c'est halal, même si c'est marqué dessus".

- Pas de Kurdes ou chrétiens à bord -

A bord des bus, la diversité religieuse des passagers n'est plus de mise.

"Avant, notre compagnie transportait des Assyriens, des Syriaques, des Kurdes, des chrétiens. Aujourd'hui, ils sont interdits d'entrer" dans ces villes, assure Jawad.

Marwan Zouro, un ouvrier kurde de 55 ans, est ainsi obligé d'aller de Beyrouth à Damas où il prend l'avion pour sa ville de Qamichli (nord-est).

En plus des interdits, le périple qui ne traverse que des territoire tenus par le régime et par l'EI, est périlleux et long en raison des combats et des raids aériens du régime, de Russes ou de la coalition antijihadistes mené par Washington.

"Avant la guerre, la route nous prenait quatre heures. Aujourd'hui, le trajet est de 24 heures", regrette Abou Ali.

Les bus partent de Beyrouth, passent par Damas, puis Dmeir avant d'arriver à la cité antique de Palmyre, capturée au printemps 2015 par les jihadistes. Les véhicules se dirigent ensuite plus au nord vers Raqa, "capitale" de l'EI en Syrie, ou plus à l'ouest vers Minbej, Maskana ou Al-Bab.

"Quand les combats sont violents, le régime ne nous laisse pas passer et nous sommes obligés de passer une ou deux nuits sur la route avant de poursuivre notre chemin", explique le conducteur.

Parfois, le danger est tel que le trajet devient un aller simple.

"Mon collègue rentrait il y a quelques jours sur la route de Palmyre lorsque des combats ont éclaté", raconte Mohammad.

"Sur le chemin j'ai reconnu son bus, dont une partie a été complètement fracassée. Il y a laissé sa vie".

Avec AFP

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