"On consomme et puis la dose là c’est plus fort que nous. On n’y peut rien. Il faut tout faire pour nous empêcher de prendre ça". Un appel au secours d’un jeune, la vingtaine à peine, il est un habitué des boissons alcoolisées qui entraînent de nombreux décès au Bénin.
Pour les pères de famille qui enterrent impuissants leurs enfants, "il n’y a pas cette semaine où des jeunes ne meurent pour overdose d’alcool". "C’est fait à base de formol, des comprimés. Les gens ont des produits, ils font les mélanges dans leurs chambres…. Il n’il n’y a pas cette semaine là où ne va pas enterrer un jeune……Les jeunes meurent, tout le temps ce sont des pleurs et c’est inquiétant…les bras valides sont en train".
Autant de raisons qui ont poussé les autorités béninoises à interdire toutes activités autour de ces produits. Pour Shadiya Alimatou Assouman, ministre de l’industrie et du commerce, "on compte des milliers de produits saisis chaque mois au Bénin". "Les produits utilisés dans la fabrication de ces produits frelatés des pays limitrophes. On compte des milliers de litres saisis chaque mois".
Appels des députés
Les députés, toutes tendances confondues appellent à des actions fortes, des mesures urgentes contre la fabrication, la commercialisation et la consommation de l’alcool frelaté. Le sujet a été débattu lors de la plénière du jeudi 16 mai dernier au parlement par le biais d’une question orale avec débat adressée au gouvernement.
"Il y a dissolution formol, diazépan qui tuent aussi nos populations…. Je pense que nos autorités locales ont du mal à lutter efficacement contre ce fléau…Si vous réussissez cette lutte, ça va diminuer un tant soit peu les décès constatés au sein des jeunes à cause de ces poisons". Au sein de la population, certains applaudissent la décision et appellent le gouvernement à aller jusqu’au bout.
"C’est une bonne initiative. Je ne fréquente même pas ceux qui en consomment. D’ailleurs ça ne fait pas du bien à l’organisme, donc pourquoi en consommer ?", se demande Ali Moussa, géomètre encore en formation à Cotonou. Mais pour d’autres, "c’est encore une décision brusque dont la mise en application va entraîner des grincements de dents". "C’est un coup dur tant pour ceux qui en prennent et ceux en ont fait leur activité principale. C’est vrai que ce n’est pas bon, mais c’est l’alternative trouvée par certains qui n’ont pas les moyens mais qui veulent travailler".
Une problématique du Nord
Si au Sud du Bénin, les gens peinent à véritablement toucher du doigt les affres de la consommation de l’alcool frelaté, au nord, le spectacle est triste et inquiétant. A travers une marche organisée, courant décembre 2018, tous les maires de l’époque ont organisé dans les rues de Natitingou une gigantesque marche contre l’alcool frelaté. Ils attiraient ainsi l’attention des autorités ainsi attirer l’attention des autorités et surtout du chef de l’État sur la situation alarmante de la commercialisation et de la consommation de l’alcool frelaté dans leurs communes respectives.
"Qu’il s’agisse du Sodabi, des passifs et certaines liqueurs, ces alcools sont fabriqués à base des ingrédients toxiques. La situation la plus alarmante est celle des enseignants et des jeunes qui se noient dans l’ethylisme chronique", avait fustigé à l’occasion, leur porte-parole, Moussa Abasssi, ex maire de Kouandé.
Pour beaucoup, l’alcool frelaté est un "poison" qui engendre une population impulsive, une jeunesse alcoolo-dépendante, et des citoyens vides de l’intérieur en situation conflictuelle avec eux-mêmes et sans estime de soi. Six ans après cette marche, le mal est toujours là et continue de détruire la population locale. Tiger, tombo, Ginger et autres, ces produits n’ont aucun secret pour Ernest dont le gain journalier est d’environ 100.000 FCFA en semaine et beaucoup plus à partir du vendredi jusqu’au dimanche. Mais lui-même n’en consomme pas.
"Comme moi je vends seulement je ne peux pas vous dire le goût que ça a. Comme ils en sont contents, c’est fini. Ils n’ont pas les moyens pour acheter ce qui est cher", souligne Abass propriétaire d’un kiosque de boissons alcoolisées frelatées.
Ses clients ont entre 18 et 50 ans. Le bénéfice qu’Ernest se fait n’est rien comparé à ceux que José se fait. Après plus de 20 ans au Cameroun, il est rentré au pays pour se spécialiser dans la vente des boissons alcoolisées frelatées en sachets ou non. "Je vous assure que ce business est très porteur pour tout le monde. Nous, au niveau de la distribution, on constate que le produit sort. Au moins, c’est la portée de tout le monde. C’est vrai que lorsqu’on en abuse, il y a quelques problèmes. Mais pour ceux qui prennent ça de manière raisonnable, il n’y a pas à s’inquiéter".
Et pourtant, selon Rodrigue Elegbè, conseiller en alimentation et en nutrition : "tous les indicateurs sont au rouge dans les zones de forte consommation de ces genres de boisson. Les indicateurs de sécurité alimentaire et de nutrition sont toujours au rouge. Les indicateurs de retard de croissance sont toujours les plus élevés par rapport au niveau national. Et il ne peut être autrement lorsque les interventions se font sur un terrain aggravé".
La phase la plus critique de cette décision sera la répression où des saisies et des arrestations seront opérées. Un drame social en vue puisque des milliers de personnes vivent de ce commerce. Mais devant les désastres enregistrés, l’interdiction reste la seule issue possible.
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