Civils tués par des soldats, intimidations ou arrestations d'opposants, journaliste mort en détention: les ONG dénoncent très fréquemment des exactions présumées.
Et le même scénario se répète: son armée en tête, le pouvoir nie longtemps, avant d'ordonner des enquêtes sous la pression internationale, pour finalement aller publiquement à Canossa.
Sans plus, pour l'heure, mais c'est déjà une avancée inédite pour un régime totalement sourd à ces accusations des décennies durant et un président, au pouvoir depuis 1982, toujours accueilli avec bienveillance dans les capitales occidentales.
Désormais, "il sera difficile pour le régime de résister à la pression internationale", prédit le politologue camerounais Ambroise Louison Essomba.
Le pouvoir "a tout intérêt, pour sa propre survie, à regarder cette question des droits de l'Homme de près", renchérit un de ses pairs, Jacques Ebwea, pour qui, "même si le régime dispose de ressorts solides, à l'intérieur comme à l'extérieur, qui lui permettent de se maintenir, la pression internationale est susceptible, à un moment donné, de le fragiliser".
D'autant que le pays subit de violents coups de boutoir. Dans le nord, le groupe jihadiste Boko Haram multiplie les attaques meurtrières et l'ouest est ensanglanté depuis trois ans par un conflit entre séparatistes de la minorité anglophone et forces de sécurité, chaque camp commettant quasi quotidiennement crimes et exactions contre les civils, selon les ONG internationales.
- Violence banalisée -
"A la faveur des convulsions sécuritaires que connaît notre pays, l'exercice de la violence s'est pratiquement banalisé", déplore Maximilienne Ngo Mbe, directrice du Réseau des Défenseurs des droits humains en Afrique centrale (REDHAC).
En février, au moins 23 civils sont massacrés lors d'une opération militaire à Ngarbuh, dans l'Ouest anglophone, selon l'ONU et des ONG. L'armée nie dur comme fer deux mois durant et évoque un "malheureux accident", l'explosion de citernes de gaz.
Sous la pression des ONG, de l'ONU, de Washington et, surtout, de Paris - l'incontournable allié et ancienne puissance coloniale -, M. Biya annonce une enquête. Deux mois plus tard, la présidence admet que 10 enfants et trois femmes ont été tués par des soldats "incontrôlés" qui ont maquillé leur crime et falsifié leurs rapports... Trois sont arrêtés et inculpés d'assassinat.
Des lampistes bien commodes, renâclent des ONG internationales et locales, soulignant qu'aucun officier n'est dans le collimateur, encore moins l'institution militaire. Les Nations unies saluent une "étape positive" mais exigent que "tous les responsables" de la tuerie soit jugés.
"Les condamnations sont de plus en plus nombreuses, mais elles tardent, hélas, à produire l'effet escompté, c'est-à-dire la construction d'un véritable Etat de droit", regrette Mme Ngo Mbe.
En 2018, une vidéo montrant l'exécution sommaire par des soldats de deux femmes et leurs deux jeunes enfants dans l'extrême Nord, repaire de Boko Haram, est longtemps qualifiée par l'armée de "fake news", avant qu'une enquête, ordonnée sous pression internationale, conclue à des assassinats perpétrés par sept militaires. Leur procès, deux ans après, est régulièrement ajourné.
- Crise politique inédite -
Outre ces conflits, le Cameroun vit une crise politique inédite depuis la réélection en 2018 de M. Biya, 87 ans. Son challenger et principal opposant, Maurice Kamto, et des centaines de ses sympathisants, arrêtés quelque temps après le scrutin, passent neuf mois en prison sans procès, avant d'être remis en liberté en octobre 2019, là encore après une forte mobilisation internationale.
"Les interventions de la communauté internationale incommodent le régime (...) mais très souvent sur le coup et très peu sur le long terme", tempère Christophe Bobiokono, membre de la Commission nationale des droits de l'Homme et des libertés, organe rattaché au gouvernement.
Dernier coup de bélier contre la forteresse du régime Biya: début juin, des ONG locales et internationales annoncent la mort en détention aux mains des militaires et sous la "torture" d'un journaliste anglophone, Samuel Wazizi, arrêté dix mois auparavant.
L'armée finit par reconnaître le décès mais assure que, interpellé pour "terrorisme", il a succombé à une septicémie... moins de deux semaines après son arrestation. Sans que sa famille n'en soit jamais informée, selon elle.
Les ONG réclament immédiatement une enquête indépendante, assurant qu'il était en parfaite santé lors de son arrestation. Quelques heures plus tard, l'ambassadeur de France, au sortir d'une entrevue avec M. Biya, annonce à la presse que le chef de l'Etat a ordonné l'ouverture d'une enquête.