Rien n'est venu rappeler aux centaines de visiteurs le bain de sang perpétré le 21 septembre 2013 dans ce temple de la consommation à l'occidentale par des islamistes somaliens shebab, ralliés à Al-Qaïda. Ni hymne national, ni prières pour les 67 morts et les centaines de blessés - dans un pays où aucune cérémonie ne débute pourtant sans ces deux passages obligés.
Un simple ruban rouge coupé devant des centaines de journalistes kényans et étrangers, quelques applaudissements et le Westgate accueillait ses premiers clients, contraints de patienter pour franchir l'unique portique de sécurité récemment installé à l'entrée.
Familles kényanes aisées, femmes en saris chatoyants, sikhs enturbannés: c'est toute la classe moyenne de Nairobi qui déambule entre boutiques de chaussures et bijoutiers avant d'aller grignoter pizza ou sushi dans le "food hall" du deuxième étage.
Blessé à la jambe lors des toutes premières minutes de l'attaque, Ben Mulla se présente comme un "survivant".
"Nous sommes à nouveau debout et nous pouvons montrer au monde que le terrorisme ne pourra pas nous abattre", lance ce consultant en communication âgé de 34 ans avant de raconter son 21 septembre.
"J'étais venu pour un déjeuner d'affaires. J'ai vu quatre terroristes (...) Ils m'ont tiré dessus, une balle a ricoché sur le mur et a touché ma jambe. Ils ont abattu un garde juste devant moi", confie-t-il.
"C'était des hommes jeunes. Ils étaient froids, sans aucune émotion. Ils semblaient prendre plaisir à ce qu'ils faisaient. Je n'oublierai jamais leurs visages", a-t-il ajouté.
- Leçons tirées ? -
Jeune serveuse dans le café branché Doorman's, Rachael Logilan, a elle d'abord cru à des "pneus éclatés", avant de réaliser qu'il s'agissait de rafales de tirs. "Ils ont commencé à tirer sur les gens. Ils ont essayé de me tuer mais ils m'ont ratée".
"Ça été un traumatisme bien sûr, j'ai fait des cauchemars pendant trois mois", dit Rachael, qui n'a pourtant pas hésité à revenir travailler sur place. "C'est un endroit agréable, on rencontre beaucoup de gens différents. Et je me sens en sécurité".
Venu inaugurer le centre commercial, au côté du patron de la chaîne de supermarchés Nakumatt, le gouverneur de la capitale Evans Kidero a un message très clair à faire passer: Nairobi "is THE place to be" (l'endroit du moment) et la ville "devient plus sûre".
"Ils nous ont fait mal mais ils n'ont pas tué notre moral. Les Kényans sont résilients, ils sont positifs et regardent toujours de l'avant comme le démontrent ceux qui sont venus nombreux aujourd'hui", se félicite-t-il dans un entretien à l'AFP.
Le sang-froid des quatre attaquants armés de kalachnikovs, entrés sans difficulté par le parking du centre en abattant à bout portant les gardes de sécurité, visant sans distinction hommes, femmes et enfants, avait créé une onde de choc dans le pays.
Un traumatisme encore aggravé par la faillite des autorités à mettre un terme rapide à ce siège en plein coeur de la capitale, qui s'est finalement prolongé près de quatre jours.
En matière de lutte contre-terroriste, "quand on veut donner un exemple de ce qu'il ne faut pas faire, on cite Westgate", assène Mwenda Mbidjiwe, expert des questions de sécurité. "A-t-on tiré les leçons de ce qui s'est passé ? Je n'en suis pas sûr", ajoute-t-il, en rappelant l'attaque encore plus sanglante (148 morts) des islamistes somaliens shebab le 2 avril contre l'Université de Garissa, dans le nord-est du pays.
Les shebab avaient revendiqué le carnage de Westgate en représailles contre l'engagement du Kenya au sein de la force de l'Union africaine en Somalie, l'Amisom, qui soutient le fragile gouvernement de Mogadiscio face aux insurgés. Les attaques se sont multipliées depuis, plombant le secteur du tourisme.
"La situation ne s'améliore pas et le gouvernement kényan a commis une erreur en radicalisant la population musulmane", de plus en plus ostracisée, confie à mi-voix Hussain Ibrahim, le papa de Shukri, venu "fêter l'Aïd et la réouverture de Westgate" avec ses quatre enfants.
(Avec AFP)