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Le derby Chiefs-Pirates, vie et sang du foot bafana


Le joueur des Pirates Senzo Meyiwa lors d'un match au stade Orlando à Soweto, le 2 novembre 2013.
Le joueur des Pirates Senzo Meyiwa lors d'un match au stade Orlando à Soweto, le 2 novembre 2013.

Depuis la finale du Mondial-2010, le Soccer City Stadium de Johannesburg remplit rarement ses 95.000 sièges. Deux fois par an pourtant, le bourdonnement des vuvuzelas et le défilé de hordes de fans grimés l'embrasent, quand vient l'heure du derby de Soweto, entre Orlando Pirates et Kaizer Chiefs.

Samedi, les Pirates, 3e du championnat sud-africain, accueillent les Chiefs, actuels leaders, pour leur 160e rencontre.

Ce face-à-face, "c'est la vie et le sang du foot sud-africain", résume Thomas Kwenaite, chroniqueur réputé en Afrique du Sud. "Les deux équipes ne peuvent s'offrir le luxe d'une défaite, ajoute-t-il, c'est une question de fierté".

Les passions suscitées par ce duel sont telles qu'elles dépassent largement le cadre de Soweto, le célèbre township de la capitale, à la pointe de la lutte contre la dictature raciale de l'apartheid officiellement tombée en 1994.

Du Cap à Pretoria, en passant par Durban ou Port-Elizabeth, il enflamme tout le pays. On y est soit "Bucs" (les "Boucaniers", le surnom des Pirates), soit "Amakhosi for Life" ("Rois pour la vie", le slogan des Chiefs).

Contrairement à celles qui agitent d'autres terrains de football de la planète, cette rivalité ne cache pas d'arrière-pensée politique, religieuse ou ethnique, ni ne révèle la moindre lutte des classes.

Ici, tout a démarré en 1970 par une trahison. Celle dont est accusé Kaizer Motaung, un ancien joueur des Pirates parti monnayer son talent aux Etats-Unis.

Violences et drames

Lorsqu'il rentre au pays, tout le monde s'attend à un retour au bercail à Orlando. Mais le riche expatrié prend toute l'Afrique du Sud à contrepied et décide de fonder son propre club, qu'il affuble en toute modestie de son prénom, les Kaizer Chiefs. En faisant plus que s'inspirer du nom et du logo (une tête de guerrier sioux) des Atlanta Chiefs où il était passé aux Etats-Unis.

Sa décision est accueillie comme une provocation. "Il y avait beaucoup de menaces à l'époque car les gens ne pouvaient pas accepter mon départ des Pirates", confiera-t-il lui-même.

Sans surprise, les premiers matches entre les deux équipes sont extrêmement tendus. En 1972, une bagarre générale éclate lorsque les fans des Pirates décident de bloquer les sorties du stade après un match perdu.

"Tous ceux qui avaient des maillots aux couleurs des Chiefs se faisaient frapper et étaient forcés de faire le signe distinctif des Pirates", se souvient Thomas Kwenaite.

Pendant de longues années, le choc de Soweto est le théâtre de sévères affrontements entre supporteurs, qui prennent l'habitude d'y assister avec des casques de chantier.

Il est aussi tristement célèbre pour ses tragédies. En 1991, un mouvement de foule dans un petit stade de Johannesburg qui abrite une rencontre "amicale" entre les deux clubs provoque la mort de 42 spectateurs.

Bis repetita dix ans plus tard, cette fois à l'Ellis Park. A l'égalisation (1-1) des "Bucs", des supporteurs restés à l'extérieur investissent un stade déjà plein à craquer. Bilan de la bousculade: 43 morts.

"J'étais sur le terrain ce jour-là et je ne veux jamais revivre ce qui s'est passé", confie le Turc Muhsin Ertugral, coach des Chiefs à l'époque et qui entraîne aujourd'hui les Pirates.

'Familles divisées'

Le temps des drames semble aujourd'hui révolu. Les spectateurs des Pirates et des Chiefs ont gardé leur casque, mais uniquement pour y afficher les couleurs de leur club fétiche. Et ils se mêlent désormais dans les tribunes pour un joyeux carnaval. "On l'appelle +le beau match+. Je n'ai jamais vu un stade où les supporteurs se mélangent pour un tel match. Le résultat n'est pas toujours terrible, mais l'ambiance est toujours incroyable", acquiesce Muhsin Ertugral.

"Parfois les supporters des Pirates n'acceptent pas la défaite et cèdent à la violence mais ce n'est plus aussi intense que par le passé", assure Thomas Kwenaite.

Mais la rivalité, elle, persiste. Au point parfois de séparer les plus proches. "Les derbies ne débutent pas lorsque les joueurs arrivent sur le terrain, ni même dans les tribunes, ils commencent au sein de chaque famille", assure l'ancien attaquant des Pirates Jerry "Jambes du Tonnerre" Sikhosana.

A 47 ans, l'ex-idole d'Orlando n'a jamais caché que son coeur de fan battait pour les Chiefs. Mais il assure n'avoir jamais fait de sentiment sur le terrain.

"Avant le derby, les entraînements sont différents. Même les joueurs qui habituellement ne se donnent pas toujours à fond redoublent d'efforts pour faire partie du onze de départ", se souvient Jerry Sikhosana.

"En tant que coach, vous devez faire en sorte que vos joueurs restent calmes, ne soient pas gagnés par les émotions, mais pendant ce match, le plan de jeu est vite oublié", conclut Muhsin Ertugral.

Avec AFP

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