La police de la Charia, la loi islamique, a commencé à patrouiller les rues et à crucifier ou décapiter les "ennemis" du mouvement, empalant des têtes sur des poteaux installés sur les places de la ville du nord de la Syrie.
Un étudiant, Abdalaziz Alhamza, et ses amis ont alors décidé de former le collectif "Raqa est assassinée en silence" (RBSS), qui réunit de courageux citoyens-journalistes risquant leur vie pour rendre compte des atrocités de l'EI.
Le fruit de leur travail est raconté dans "City of Ghosts", du réalisateur nommé aux Oscars Matthew Heineman. C'est l'un des films consacrés au conflit syrien et à la terreur djihadiste dévoilés ces jours-ci au festival de Sundance, dans l'Utah (ouest).
"Je voulais (...) comprendre qui sont ces hommes, ce qui les anime", a expliqué à l'AFP M. Heineman, 33 ans.
Aucun journaliste professionnel n'a été capable d'aller sur place, ce qui a permis à l'EI de contrôler le message sur ce qui se passe à Raqa, par l'intermédiaire de vidéos de propagande.
L'organisation radicale islamiste y dépeint une cité prospère et vivant normalement, mais RBSS a réussi à capter la brutalité choquante et les dysfonctionnements de cette cité d'un million d'habitants.
A la suite d'une offensive éclair en juin 2014 au cours de laquelle l'EI est accusé d'avoir commis de nombreuses atrocités, le groupe a étendu son califat autoproclamé du nord de la Syrie jusqu'à des régions de l'Est de l'Irak.
Abdalaziz Alhamza, 25 ans, a été confronté pour la première fois aux combattants de l'organisation djihadiste lorsqu'un homme masqué, s'exprimant avec un accent saoudien, a fait irruption dans son université et a recruté l'un de ses amis qui a été retrouvé mort un peu plus tard.
Les membres du réseau RBSS enregistrent les atrocités commises par les extrémistes avec des smartphones, puis envoient les images cryptées par internet à Alhamza et à ses partenaires exilés, qui les disséminent ensuite à travers les réseaux sociaux.
L'an dernier, ils ont ainsi relayé dans le monde entier l'histoire d'un djihadiste de 20 ans qui a tiré sur la tête de sa mère avec un fusil d'assaut, devant un public, après qu'elle eut été accusée d'apostasie.
Héros malgré eux
M. Heineman était en tournée promotionnelle pour son documentaire sur le trafic de drogues au Mexique "Cartel Land" en 2015, quand le calvaire des Syriens face à l'EI a commencé à faire les gros titres presque quotidiennement.
Après d'intenses recherches, il a découvert l'existence de RBSS à l'automne de cette même année et a été ému par les sacrifices de ses membres.
D'où sa décision de faire un film très personnel avec des images-vérité, comme celles enregistrées pendant que certains membres du collectif fuyaient la Syrie après l'assassinat de plusieurs d'entre eux par des djihadistes.
Matthew Heineman les a suivis en Turquie puis en Allemagne tandis que l'EI continuait de les menacer.
"Je voulais juxtaposer ce voyage et les enregistrements incroyables tournés à Raqa", a précisé le cinéaste à l'AFP.
Son film part de Raqa mais évoque aussi la crise des migrants en Europe, l'histoire poignante d'un groupe d'amis liés par leur mission désespérée et leurs traumatismes.
"Last Men in Aleppo", sur les secouristes des "Casques blancs", a également été présenté à Sundance. Cette collaboration entre les cinéastes syrien Firas Fayyad, danois Steen Johannessen, et le centre des médias d'Alep suit trois héros malgré eux qui courent vers les bombes quand les autres s'enfuient.
"Cries from Syria" fait le récit du mouvement de révolte qui, inspiré du Printemps arabe en Tunisie, en Libye et en Egypte, s'est soulevé contre le régime du président Bachar al-Assad.
L'influence de l'Etat islamique s'est étendue au-delà du Moyen-Orient, et un autre film présenté au festival de Park City, "Waiting for Hassana", relate l'enlèvement de 276 jeunes filles par une organisation affiliée à l'EI, Boko Haram au Nigeria, à travers l'expérience d'une des 57 captives ayant réussi à s'échapper.
Avec AFP