"Procès politique" pour certains, "affaire de mœurs" pour d'autres: l'affaire jugée à huis clos depuis le 8 mars à Casablanca a passionné la presse locale du fait de la personnalité de l'accusé et de la gravité des charges, "traite d'êtres humains", "abus de pouvoir à des fins sexuelles", "viol et tentative de viol".
Arrêté en février dans les locaux de son journal au cours d'une opération spectaculaire de police et incarcéré depuis, le directeur du quotidien indépendant Akhbar al-Yaoum était jugé par la chambre criminelle de la Cour d'appel de Casablanca qui l'a reconnu coupable de tous les chefs d'accusation.
L'influent journaliste risquait 20 ans de prison. Ses avocats avaient plaidé pour son acquittement.
- "Procès politique" -
Invité à prendre une dernière fois la parole vendredi, l'accusé a dit qu'il était "victime d'un procès politique à cause de sa plume", a dit un de ses avocats Mohamed Ziane.
"Calme et sûr de lui", il a déploré que "dans le monde arabe on ne comprenne toujours pas ce que c'est que la liberté de la presse", selon son avocat.
Il a affirmé qu'il payait ses écrits contre des personnalités politiques marocaines, comme le milliardaire Aziz Akhannouch, ministre de l'Agriculture, et contre le prince héritier d'Arabie saoudite Mohammed ben Salmane.
Il a assuré avoir "appris de sources gouvernementales que l'ambassade d'Arabie saoudite à Rabat s'était plainte auprès du chef du gouvernement de deux de ses éditos critiques", selon son avocat Abdelmoula El Marouri.
"C'est un dossier pénal, avec des faits et des victimes. Il n'y a aucune relation entre exprimer des positions politiques et commettre des agressions sexuelles", a contesté un des avocats de la partie civile, Me Mohammed Karout.
Le tribunal a octroyé aux victimes des indemnisations allant de 100.000 à 500.000 dirhams (environ 9.000 à 46.000 euros).
La partie civile estime que "les indemnisations ne sont pas à la hauteur des préjudices" et compte faire appel, a indiqué Me Karout.
- "Montages" -
L'accusation repose sur des plaintes, des témoignages à charge et une cinquantaine de vidéos d'ébats sexuels saisies dans son bureau lors de son arrestation.
Ces images très explicites, dont certaines ont fuité dans la presse, démontrent "des pratiques abjectes", selon les avocats des plaignantes. La défense, elle, assure qu'il s'agit de "montages".
Une expertise technique menée au cours du procès a confirmé l'authenticité des vidéos. Mais selon la défense, rien ne permet d'identifier formellement Taoufik Bouachrine.
Dans ses dernières déclarations, le patron de presse a une nouvelle fois nié être l'homme filmé dans les vidéos qui de plus, montrent "des scènes de relations consenties", selon un de ses avocats.
L'affaire a connu plusieurs rebondissements depuis l'ouverture du procès: quatre femmes citées comme "victimes" par l'accusation ont démenti être concernées. L'une d'elle a été condamnée à six mois de prison ferme pour avoir accusé la police d'avoir falsifié sa déclaration, une peine confirmée en appel cette semaine. D'autres ont refusé de se présenter devant le tribunal.
Au final 8 des 15 parties civiles citées à l'origine par l'accusation ont été reconnues comme victimes et indemnisées, selon les avocats de la partie civile.
Du fait du huis-clos, la presse locale a diffusé pendant le procès des compte-rendus contradictoires, avec d'un côté des témoignages détaillés sur les "perversions" de l'accusé, de l'autre des protestations dénonçant une "affaire montée de toutes pièces".
Taoufik Bouachrine avait déjà fait l'objet de poursuites: en 2009 pour une caricature jugée irrespectueuse de la famille royale et du drapeau national, en 2015 pour un article attentatoire "à la réputation du Maroc", début 2018 pour "diffamation" à l'encontre de deux ministres.
Avec AFP