Le Kenya s'apprête à brûler samedi la quasi-totalité de son stock d'ivoire et veut sonner ainsi la fin du trafic illégal de "l'or blanc", responsable du déclin alarmant de la population des éléphants sur le continent.
Le temps est compté pour protéger ceux que l'écrivain Romain Gary décrivait dans son roman "Les racines du ciel", paru en 1956, comme "maladroits, encombrants, anachroniques, menacés de toutes parts, et pourtant indispensables à la beauté de la vie".
Ce rythme alarmant fait peser le risque de leur disparition du continent à l'état sauvage à court terme. Pour la seule Tanzanie, la population d'éléphants est passée de près de 110.000 spécimens en 2009 à quelque 43.000 en 2014, selon des statistiques officielles.
Pour enrayer cette dynamique néfaste, le président kényan Uhuru Kenyatta présidera vendredi un sommet réunissant près de Nanyuki (centre) plusieurs chefs d'État africains et de nombreux protecteurs des animaux.
Samedi, le pays hôte joindra les actes à la parole en brûlant dans le parc national de Nairobi 105 tonnes d'ivoire, la plus grande quantité jamais détruite en une seule fois, représentant 5% du stock mondial actuel d'ivoire. Près d'une tonne et demi de corne de rhinocéros sera également incinérée.
"L'ivoire n'a pas de valeur"
C'est le nouveau patron du Service kényan de la faune (KWS), Kitili Mbathi, qui résume le mieux le message ainsi envoyé: "Nous ne pensons pas que l'ivoire a une valeur intrinsèque et nous allons donc brûler notre stock et démontrer ainsi au monde entier que l'ivoire n'a de valeur que sur un éléphant".
Des voix se sont toutefois élevées pour s'inquiéter des conséquences de cette incinération massive sur le cours de l'ivoire.
Le trafic d'ivoire, dont le commerce est interdit depuis 1989 (à de rares exceptions près), est porté par la demande asiatique, essentiellement en Chine où le kilo d'ivoire se négocie environ 1.000 euros.
La Chine, qui a récemment durci sa législation sur les importations d'ivoire, permet cependant la revente d'ivoire acheté avant l'interdiction de 1989 mais, estiment les défenseurs des éléphants, ce commerce légal peut servir de paravent pour des importations clandestines.
"L'ivoire n'a pas de valeur en soi", martèlent les ONG, qui plaident pour une prohibition totale des ventes.
"Vivants, les éléphants représentent une importante source de revenus pour les économies locales, via le tourisme, et à long terme, leur valeur est bien plus grande quand ils vagabondent dans les savanes et forêts africaines que lorsque leur ivoire orne une cheminée ou le bracelet de quelqu'un", explique Rob Brandford, directeur du Fonds David Sheldrick pour la protection de la faune.
De savane et de forêt
Outre M. Kenyatta, qui allumera lui-même le stock d'ivoire samedi, les présidents ougandais Yoweri Museveni, botswanais Ian Khama et gabonais Ali Bongo Ondimba sont attendus pour le sommet.
M. Bongo représentera l'autre partie du continent la plus touchée par le braconnage: l'Afrique centrale. Le Gabon abrite à lui seul plus de la moitié des 80.000 éléphants de forêt que compte l'Afrique.
Le sommet de vendredi au Kenya vise à amplifier la prise de conscience mondiale du problème du braconnage des éléphants pour aboutir à une interdiction totale du commerce de l'ivoire.
Cette prise de conscience a déjà suscité la mise en place de mesures innovantes.
Le Kenya a mis sur pied une brigade de chiens renifleurs d'ivoire dans l'aéroport international de Nairobi, qui a déjà permis plusieurs saisies et arrestations de contrebandiers à destination de l'Asie du Sud-Est.
Ces efforts commencent à porter leurs fruits au Kenya, qui n'a dénombré que 93 pachydermes tués en 2015 contre 164 en 2014.
Le Cameroun a pour sa part incinéré en public le 19 avril plus de six tonnes d'ivoire, une première pour le pays. Quelques jours plus tôt, la Malaisie brûlait près de 10 tonnes, une mesure là-aussi inédite.
Le commerce illégal de l'ivoire sera de nouveau au centre des débats lors de la prochaine conférence mondiale organisée par la Cites (Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction) en septembre à Johannesburg.
Avec AFP