Quelques semaines avant le grand rendez-vous du ballon rond, qui débute le 14 juin en Russie, les autorités pénitentiaires ont saisi l'occasion de la qualification historique du pays sud-américain, pour la première fois en 36 ans.
La compétition, inédite, a duré un mois, avec la participation de 16 établissements, qui ont chacun pris le nom d'un pays.
Et si les matchs de la phase initiale ont été disputés dans les cours de chaque prison, la finale a elle été organisée sur un véritable terrain de football: le Stade monumental de Lima, avec une capacité pour 60.000 spectateurs.
C'est dans ce stade que les "Incas" - comme on surnomme la sélection péruvienne - ont joué plusieurs rencontres des qualifications au Mondial, d'où l'émotion des détenus qui ont foulé la même pelouse pour la finale.
"Je me sens libre pour un moment, je sais que je sortirai très bientôt. Ce titre, je le dédie à ma famille, le sacrifice a valu la peine", confie à l'AFP Thomas Manuel Aguirre, condamné pour vol aggravé mais champion de ce Mondial atypique avec son équipe de la prison de Lurigancho, à Lima, sous les couleurs du Pérou.
Malheureusement pour les joueurs, les gradins du stade sont restés quasiment vides, car seuls une trentaine de proche des détenus ont été autorisés à assister au match, sous la surveillance d'environ 200 policiers et agents pénitentiaires.
- "Respirer un peu d'air" -
Mais cela ne les a pas empêchés d'avoir l'impression de vivre un vrai Mondial: hymnes nationaux joués par des musiciens, trio d'arbitres professionnels, bonnes passes, buts, cartons jaunes, un blessé et des prolongations.
Arrivés à la phase décisive des tirs aux buts, les "Péruviens" de Lurigancho ont battu 4 à 2 les "Russes" de la prison de Chimbote, un port du nord du pays.
Les champions ont reçu une coupe, plus grande encore que celle décernée par la Fifa, des médailles d'or et des tenues sportives en récompense.
Mais pour eux, le meilleur trophée a été de pouvoir sortir de prison pour un jour.
"Enfin, je peux respirer un peu d'air. Avec (cette compétition), nous cherchons à pouvoir nous réinsérer socialement pour bonne conduite", déclare à l'AFP Francis Valero, 27 ans, tatoué de deux étoiles au cou et incarcéré pour trafic de drogues à Lurigancho.
Pour jouer les matchs de la première phase, les détenus ont été transférés, dans des autobus aux vitres grillagées, d'une prison à l'autre, dans de strictes conditions de sécurité.
"C'est la première fois qu'un Mondial de ce genre est organisé, c'est inédit en Amérique latine", souligne le directeur de l'Institut pénitentiaire, Carlos Vasquez, qui a remis les médailles à chacun des champions.
"Les détenus peuvent avoir enfreint les lois, ils peuvent avoir commis un délit, mais le football les unit comme une nation au moment de participer, comme pays, au Mondial", ajoute-t-il.
- Surpopulation -
La compétition offre un répit agréable aux prisonniers, confinés dans des établissements surpeuplés: ainsi, la demi-finale s'est jouée dans le centre pénitentiaire de Lurigancho, qui héberge 9.700 détenus, la plupart qualifiés comme "hautement dangereux", pour une capacité de 3.500.
C'est la prison la plus surpeuplée des 69 que compte le Pérou.
"La surpopulation est à un niveau critique dans les prisons péruviennes, où se trouvent 187.000 détenus, mais elle se ressent moins quand l'ordre est respecté", selon M. Vasquez.
Dans la prison de Huaral, à 80 kilomètres au nord de Lima, une photo de la sélection péruvienne a été affichée sur la façade, ainsi que les drapeaux des pays qualifiés pour le Mondial.
Sur un mur, les détenus ont peint l'image de Paolo Guerrero, l'attaquant vedette de la sélection dont la suspension pour dopage était vécue comme un drame national.
"Ici, nous sommes détenus, mais nous avons des capacités pour faire autre chose. Nous avons commis une erreur, mais nous méritons une opportunité", assure Ernesto Bendezu, condamné pour vol aggravé mais heureux d'avoir battu, sous le maillot de la France, le Japon 3 à un lors d'un match organisé dans la prison de Huaral.
Avec AFP