Le pape François a évoqué dimanche avec beaucoup d'émotion sa visite la veille dans le camp de migrants de Moria, sur l'île grecque de Lesbos, et notamment sa rencontre avec un veuf, père de deux enfants et "qui pleurait tant".
Aux côtés du patriarche de Constantinople Bartholomée et de Ieronymos, l'archevêque orthodoxe d'Athènes et de toute la Grèce, "nous avons visité un des camps de réfugiés", a raconté le pape à la foule rassemblée place Saint-Pierre, à l'occasion de la traditionnelle prière dominicale de l'Angelus.
"Que cela soit clair, la dimension politique comme le vivre-ensemble est partout présente dans l’activité du Saint-Père. Vous vous rappelez d'ailleurs que sa première visite comme Pape a été sur l’Ile de Lampedusa après les différents naufrages. En allant à Lesbos, il a encore clairement dit : « Je vais à la rencontre de la douleur, à la rencontre de la souffrance. Nous allons voir la mer qui est devenue un cimetière». On ne peut pas y voir seulement un aspect de politique politicienne. Ça souligne très fortement, et donne honte aux politiques qui ont charge, la gestion du vivre-ensemble", confie à VOA Afrique Père Janvier Marie Gustave Yameogo, chargé de l'Afrique et du secteur francophone au Secrétariat pour la Communication du Vatican.
Selon le Père Yameogo, "c’est une faillite de l’humanité, de la solidarité qui est dénoncée en actes par le fait même que le Pape se rend sur place".
"Je voudrais insister sur la symbolique des témoignages qu’il a recueillis. La femme était catholique et elle a été égorgée. Lui, il est musulman. Il raconte cela au Pape en pleurant. Derrière ce récit, la dimension à faire voir, c’est que nous avons affaire à des êtres humains. Ce n’est pas d’abord les catégories d’islamistes, de barbares, de gens qui font le mal mais c’est une humanité qui souffre. Si cet homme a été capable d’épouser une chrétienne qui a été égorgée par d’autres personnes, cela veut dire qu’il y a quand même la possibilité de l’amour entre chrétiens et musulmans", explique Père Yameogo.
"Il y avait tant d'enfants"
Ces migrants "provenaient d'Irak, d'Afghanistan, de Syrie, d'Afrique, de tant de pays. Nous avons salué environ 300 d'entre eux, un par un", a poursuivi le pontife argentin, qui a ramené douze Syriens avec lui dans son avion et les a accueillis au Vatican.
Parmi ces migrants, "il y avait tant d'enfants: quelques uns de ces enfants ont assisté à la mort de leurs parents, de leurs amis, noyés en mer". "J'ai vu tant de douleur!", s'est exclamé, visiblement très ému, Jorge Bergoglio, lui-même petit-fils de migrants italiens.
Puis le pape a poursuivi: "je voudrais vous raconter un cas particulier, celui d'un homme jeune, il n'avait pas 40 ans". "Je l'ai rencontré hier, avec ses deux fils. Il est musulman et il m'a raconté qu'il était marié avec une chrétienne, ils s'aimaient et se respectaient mutuellement". Mais, "malheureusement, a poursuivi François, elle a été égorgée par des terroristes parce qu'elle n'a pas voulu renier le Christ et abandonner sa foi: c'est une martyre!"
Avant de conclure: "et cet homme pleurait tant..."
Samedi à Lesbos, symbole du verrouillage croissant de l'accès à l'Europe, le pape a appelé le monde à répondre de manière "digne" à l'exode enclenché en 2015, rappelant que "nous sommes tous des migrants".
Comme il l'avait fait en 2013, à peine élu, sur l'île italienne de Lampedusa, après de terribles naufrages, le pape a de nouveau secoué ce qu'il avait appelé alors "la mondialisation de l'indifférence".
"C'est une goutte d'eau dans la mer, mais après cette goutte, la mer ne sera plus jamais la même"
"François nous a redonné la vie", il est notre "sauveur", "nous saurons mériter son don": les douze Syriens accueillis par le pape au Vatican, en un geste de défi à la face d'une Europe frileuse, ont confié leur gratitude envers le pontife argentin.
Les trois familles, toutes musulmanes et en situation régulière, que François a ramenées dans son avion à la suite de sa visite sur l'île grecque de Lesbos samedi, ont passé leur première nuit en Italie, hébergées dans le quartier romain du Trastevere par la communauté catholique de Sant'Egidio.
"C'est une goutte d'eau dans la mer, mais après cette goutte, la mer ne sera plus jamais la même", avait affirmé le pape à la presse pendant son vol de retour de Lesbos, citant mère Teresa pour expliquer son "geste humanitaire". François, lui-même petit-fils de migrants italiens, a expliqué que l'idée lui avait été soufflée par un collaborateur et qu'il avait "dit oui tout de suite".
"Il y avait deux familles chrétiennes mais leurs papiers n'étaient pas prêts. (La religion) n'est pas une dérogation. Tous les réfugiés sont fils de Dieu", a-t-il insisté.
Après leur arrivée à Rome, les Syriens ont remercié le pape "pour la chance qui (leur) a été offerte avec son geste d'espoir qui (les) a émus", selon des propos rapportés par le quotidien la Stampa.
Si au départ, ils pensaient tous rejoindre l'Allemagne ou le nord de l'Europe, ils affirment à présent s'en remettre à François: "nous sommes les invités du pape qui nous a sauvés et nous a redonné la vie".
"Nous avons vu mourir amis et parents sous les décombres, nous nous sommes enfuis parce qu'en Syrie, nous n'avions plus aucun espoir", explique Hasan, un ingénieur originaire de Damas, accompagné de sa femme Nour et de leur fils de deux ans.
"A Lesbos, nous avons compris que nous étions bloqués dans un endroit d'où nous ne pourrions pas partir, dans un piège, une prison", ajoute-t-il, jusqu'à la visite du pape, "notre sauveur". "Nous espérons que l'opinion publique (en Europe) comprendra nos raisons et que le geste du pape aura des conséquences sur la politique à l'égard des réfugiés", déclare pour sa part Nour à la Repubblica.
Merci pour le "don" du pape
Wafa, aux côtés de son mari Osama, de leur fille de huit ans, Masa, et de leur fils de six ans, Omar, raconte les "bombardements continuels" de ces derniers mois au dessus de sa maison.
"Depuis, (mon fils) parle très peu, aucune parole ne sort plus de sa bouche, il se ferme dans un silence impénétrable", se désole cette mère. A Lesbos, "les journées étaient si longues" mais "François nous a redonné la vie".
Ramy, un enseignant de 51 ans, raconte avoir fui Deir Ezzor, une province en partie contrôlée par l'organisation Etat islamique (EI), avec son épouse Suhila et leurs trois enfants, Rashid et Abdelmajid, 18 et 16 ans, et la petite Al Quds, sept ans.
C'est la destruction de leur maison qui les a convaincus de s'en aller, dit-il. "Nous remercions le pape, nous saurons mériter cette chance qui nous a été offerte et le don qu'il nous a fait", confie-t-il à la Stampa, tout en précisant ne pas savoir encore si leur vie doit recommencer en Europe ou si un jour ils pourront "retourner dans une Syrie sans guerre ni violence".
Avec ces nouveaux hôtes, qui bénéficient d'un visa humanitaire et devraient déposer prochainement une demande d'asile auprès des autorités italiennes, le Vatican compte désormais une vingtaine de réfugiés pour moins de 1.000 habitants.
Si les 300 millions d'Européens faisaient de même, ils accueilleraient 6 millions de personnes. A l'automne, le pape avait demandé à chaque paroisse d'Europe d'accueillir une famille de réfugiés, un appel resté souvent lettre morte.
Avec AFP