La veille déjà, ses conseillers avaient prévenu que le chef d'Etat âgé de 74 ans travaillerait "depuis chez lui", non pas pour se reposer après ce long séjour à Londres où il a suivi un traitement médical dont on ignore la nature, mais parce que son bureau avait été envahi par de mystérieux "rongeurs" en son absence.
De même, aucune indication sur sa santé n'a été donnée pour expliquer l'annulation soudaine du conseil hebdomadaire des ministres.
Pourtant, dans son discours à la nation, lundi, l'ancien général Buhari apparaissait, certes très mince, mais sa voix était plus affirmée que lors de ses dernières interventions. Sa prise de parole était très courte mais plus structurée qu'à son précédent retour d'un premier séjour de soin en mars.
Assis droit dans son siège, entouré de drapeaux vert et blanc, les couleurs nationales, il a assuré maintenir le cap de ses objectifs et vouloir garantir la sécurité du pays où le climat s'est tendu.
Le Nigeria souffre de sérieux problèmes sécuritaires, dans le nord-est avec l'insurrection du groupe jihadiste Boko Haram, dans le sud-est avec les velléités indépendantistes du Biafra, et les kidnappings et violences ethniques sont en hausse à travers tout le pays.
"J'éliminerai toutes ces menaces", avait-il martelé.
Mais les premières impressions d'un retour à la normale ont été aussitôt altérées par les événements.
Amaka Anku, analyste pour Eurasia Group, un think-tank de recherche politique, écrivait dans son rapport, dès le weekend dernier, que le président "reste affaibli par la maladie, et les probabilités de le voir entreprendre toutes les responsabilités présidentielles sont faibles".
"Il permettra sans doute au vice-président Yemi Osinbajo - qui a assuré son interim pendant ses absences répétées - de continuer avec les affaires courantes", écrit l'analyste nigériane.
- Consternation -
Sur les réseaux sociaux, le Nigeria apparait profondément divisé entre les supporters indéfectibles du président qui le voient déjà se représenter aux prochaines élections de 2019 et la consternation provoquée par les raisons invoquées pour l'absence du président aux réunions officielles.
Mercredi matin, la photo d'une petite souris 'photoshopée' portant un uniforme militaire nigérian et une kalachnikov s'échangeait de portable en portable pour tourner en dérision l'équipe de communication présidentielle: "Attention, les rongeurs assiègent la Villa!", la résidence présidentielle d'Abuja.
Une plaisanterie qui n'était pas du goût de tous dans un pays dont l'histoire a été ponctuée par les coups d'État militaires et l'instabilité politique.
A Abuja, la ligne officielle reste droite: "Que personne ne puisse douter de qui dirige le pays. Le président Buhari est clairement le dirigeant", confiait mercredi l'un de ses proches à l'AFP.
"Qu'il puisse déléguer certaines fonctions au vice-président de temps en temps n'est qu'une question administrative", a poursuivi cette source qui souhaite rester anonyme, ajoutant que le vice-président Osinbajo en référerait toujours au président Buhari.
Interrogé par les journalistes mercredi, le vice-président a d'ailleurs expliqué qu'il venait de rendre un rapport à son supérieur sur une lourde affaire de corruption qui a affecté le pays en son absence.
"Le président l'étudiera et prendra les décisions", a répété M. Osinbajo, sans donner plus de détails, prenant soin de retrouver sa place de subordonné.
- 'Seconds couteaux' -
Ancien général, qui a déjà dirigé le Nigeria d'une main de fer (1984-1985), "le président n'est pas du genre à jouer les seconds couteaux", explique Dapo Thomas, professeur en sciences politiques à l'Université de Lagos.
Personne au Nigeria ne doute que le président veuille toujours exercer son pouvoir exécutif mais, pour les observateurs, l'annulation du conseil des ministres, le premier depuis son retour, reste un symbole fort.
"J'y vois l'image de quelqu'un qui n'est pas rétabli à 100%", commente le consultant politique nigérian Chris Ngwodo.
"Cela signifie que Buhari n'est pas en capacité physique d'assurer ses fonctions", explique-t-il à l'AFP. "Et ce n'est pas de bonne augure, particulièrement dans cette période cruciale".
Le géant d'Afrique de l'Ouest est entré en récession il y a un an, ne pouvant faire face à la chute du prix du baril de pétrole dont il est le premier producteur du continent avec l'Angola. L'inflation et les licenciements massifs rythment la vie des 190 millions de Nigérians.
Avec AFP