Deux avocats commis d'office de la défense avaient demandé un report du procès d'un mois "au nom de la manifestation de la vérité", arguant avoir eu trop peu de temps pour étudier "les 20.000 pièces du dossier".
Le président du tribunal militaire de Ouagadougou, Urbain Méda, a accepté leur requête, mais a suspendu les débats pour seulement deux semaines.
"C'est un jour de vérité pour moi, ma famille et tous les Burkinabè", avait déclaré dans la matinée la veuve de Thomas Sankara, Mariam, présente à l'ouverture de ce procès très attendu par les familles des victimes du putsch de 1987.
Comme prévu, le principal accusé, Blaise Compaoré, n'était pas présent lundi matin au tribunal.
Porté au pouvoir par le coup d'Etat de 1987 et renversé par une insurrection populaire en 2014, Blaise Compaoré, 70 ans, vit en Côte d'Ivoire, pays dont il a obtenu la nationalité. Ses avocats avaient dénoncé "un procès politique" devant "une juridiction d'exception".
Selon Stanislas Benewendé Sankara (aucun lien familial avec Thomas Sankara, ndlr), avocat de la famille du leader "révolutionnaire" depuis 1997, "l'absence de Compaoré est un mépris pour la justice de son pays d'origine" et "dénote quelque part aussi sa culpabilité éventuelle".
Commando
Douze des quatorze accusés étaient présents à l'ouverture de ce procès placé sous haute surveillance des forces de défense et de sécurité, dans un pays en proie à la violence jihadiste depuis 2015.
Parmi eux, le général Gilbert Diendéré, 61 ans, un des principaux chefs de l'armée lors du putsch de 1987, est apparu en tenue militaire, manifestement serein et décontracté.
Devenu ensuite chef d'état-major particulier du président Compaoré, le général Diendéré purge déjà au Burkina une peine de 20 ans de prison pour une tentative de coup d'Etat en 2015.
Comme Blaise Compaoré, il est accusé de "complicité d'assassinats", "recel de cadavres" et "d'attentat à la sûreté de l'Etat".
Des soldats de l'ancienne garde présidentielle de Compaoré, notamment l'ancien adjudant-chef Hyacinthe Kafando, soupçonné d'avoir été le chef du commando et qui est actuellement en fuite, figurent également parmi les accusés.
Arrivé au pouvoir par un coup d'Etat en 1983, Thomas Sankara a été tué avec douze de ses compagnons par un commando lors d'une réunion au siège du Conseil national de la révolution (CNR) à Ouagadougou. Il avait 37 ans.
Bras droit de Sankara, Blaise Compaoré a toujours nié avoir commandité l'assassinat de son frère d'armes et ami intime.
"Commanditaires de l'extérieur"
La mort de Thomas Sankara, qui voulait "décoloniser les mentalités" et bouleverser l'ordre mondial en prenant la défense des pauvres et des opprimés, a été un sujet tabou pendant les 27 ans de pouvoir de M. Compaoré.
L'affaire a été relancée en 2015 par le régime de transition démocratique et un mandat d'arrêt émis contre M. Compaoré par la justice burkinabè en mars 2016.
Lors d'un voyage à Ouagadougou en novembre 2017, le président français Emmanuel Macron avait salué la mémoire de Thomas Sankara et annoncé la levée du secret-défense sur des documents relatifs à son assassinat.
Selon Halouna Traoré, ancien compagnon de Sankara et unique rescapé du coup d'Etat de 1987, le "procès nous amène (nous, Burkinabè, ndlr) à nous regarder dans le miroir, à voir le tort qu'on s'est fait nous-mêmes avec la complicité de l'extérieur, parce que le côté matériel du coup d'Etat s'est passé au Burkina, mais les commanditaires sont de l'extérieur".
S'il s'est réjoui de la tenue du procès, le réseau international "Justice pour Thomas Sankara, justice pour l'Afrique" a noté le risque qu'il soit "amputé du volet international du dossier" pouvant faire la lumière sur le rôle de la France, des Etats-Unis et de pays ouest-africains comme la Côte d'Ivoire de Félix Houphouët Boigny et du Togo de Gnassingbé Eyadema, alors ulcérés par les prises de position anti-impérialistes de ce jeune révolutionnaire adulé par la jeunesse africaine.