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Le rappeur Falz enflamme la toile avec "This is Nigeria"


Le rappeur nigérian Falz The Bahd Guy de son vrai nom Folarin Falana, 21 décembre 2018. (Facebook/Falz)
Le rappeur nigérian Falz The Bahd Guy de son vrai nom Folarin Falana, 21 décembre 2018. (Facebook/Falz)

Plus de 2,8 millions de vues en une semaine, une avalanche de réactions sur les réseaux sociaux... En parodiant à la sauce Nollywood le clip de l'américain Childish Gambino "This is America", le rappeur nigérian Falz suscite un débat enflammé et dénonce avec fracas les maux qui rongent son pays.

"C'est ça le Nigeria, regarde comment on vit, regarde ce qu'on mange": comme dans la version originale américaine, Falz The Bahd Guy (de son vrai nom Folarin Falana) déambule torse nu dans un vaste hangar où les scènes de violences se succèdent...

Sauf que la machette remplace ici les armes à feu du clip américain, dans lequel Childish Gambino interpelle ses compatriotes sur la situation des noirs et les brutalités policières aux Etats-Unis. Le succès a été là aussi retentissant, avec plus de 215 millions de vues depuis sa diffusion sur la toile il y a un mois.

"This is Nigeria", diffusée sur Youtube le 25 mai, dresse un portrait impitoyable du Nigeria, colosse aux pieds d'argile où plus de 70% de la population croupit dans la pauvreté malgré les milliards de dollars générés par le pétrole, sur fond de corruption généralisée et d'affrontements intercommunautaires sanglants.

Si la chanson de Falz suscite autant de passion, c'est qu'elle bouscule l'ordre établi. Au Nigeria, il est rare de voir un clip s'ouvrir autrement que sur des femmes nues avachies sur une voiture de luxe ou du champagne couler à flots. L'Afro-pop nigériane rime plus souvent avec argent facile qu'avec conscience politique.

"Je pense que nous sommes trop distraits par le divertissement, par un style de vie tape-à-l'oeil (...) nous devons réfléchir et regarder notre espace social", expliquait cette semaine l'artiste de 27 ans, invité sur la chaine privée locale Wazobia.

"Nous avons une voix en tant qu'artistes, et (...) nous devons dire la vérité pour réveiller les gens", affirmait-il. "L'Etat dramatique du Nigeria est devenu la norme!"

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Ces derniers jours, de nombreux commentateurs Nigérians ont encensé une initiative "courageuse" et outre-Atlantique, la star du hip-hop P. Diddy a partagé le clip du jeune Nigérian sur son compte Instagram, célébrant les artistes "qui changent la donne".

Le journaliste musical Joey Akan n'a pas hésité à comparer l'artiste nigérian avec Fela Kuti, îcone de l'afrobeat et de la liberté d'expression durant les dictatures militaires au pouvoir durant trois décennies (70'-90').

"+This is Nigeria+ incarne l'esprit révolutionnaire et rebelle de Fela Anikulapo Kuti avant lui (...) et montre que contrairement à l'opinion qui prévaut chez les talents locaux, il y a une demande de musique consciente", a-t-il affirmé dans une tribune publiée sur CNN.

- "Exemple de médiocrité" -

Aujourd'hui encore, "les musiciens ont tendance à éviter les commentaires politiques, en partie à cause d'une crainte enracinée d'être persécuté par les politiciens puissants", selon Akan. Ainsi le chanteur ultra-populaire 2Baba avait annoncé l'an dernier l'organisation d'une grande marche contre le gouvernement, en pleine récession économique, mais a dû rétro-pédaler sous la pression.

Quant aux superstars mondiales de l'afro-pop comme Davido ou Wizkid, elles continuent à se produire pour des magnats industriels ou politiques, prêts à leur offrir des fortunes pour un concert privé...

Falz n'est pas n'importe qui: ce diplômé en droit qui a vite abandonné sa carrière de juriste pour se lancer dans la musique est le fils de l'avocat et défenseur des droits de l'Homme Femi Falana. Une figure très connue au Nigeria qui a autrefois défendu un certain... Fela Kuti.

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Le jeune homme n'a fait que crier haut et fort ce que pensent beaucoup de Nigérians, fatigués par des années de mauvaise gouvernance, alors que le président Muhammadu Buhari, 75 ans, très critiqué après trois ans au pouvoir, a annoncé son intention de briguer un nouveau mandat en 2019.

Au fil du clip de Falz apparaissent des filles voilées, allusion aux lycéennes de Chibok, kidnappées par Boko Haram dans l'"indifférence", des générateurs ronronnant à plein régime pour pallier les défaillances du réseau électrique, des policiers corrompus tabassant des jeunes sous l'emprise de drogues...

Même les pasteurs évangéliques, ô combien puissants au Nigeria, ne sont pas épargnés, dépeints en charlatans à l'affût du gain.

Mais la chanson a aussi suscité de violentes critiques, beaucoup l'ayant accusé de "plagiat", voire de "mauvais Nollywood", par rapport à la version américaine.

"Il mérite un prix (de commentateur politique), mais uniquement parce qu'il n'y a pas de concurrence", raille le critique Oris Aigbokhaevbolo, accablant l'esthétique de la vidéo et la superficialité des paroles.

"Wizkid et Davido ne risquent pas de chanter ça, séquestrés comme ils le sont dans une boîte de nuit ou attachés dans un lit moelleux par une créature plantureuse".

Avec AFP

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