Au lendemain de cet arrêt historique des "Sages", le pays attend de savoir quand il va voter et dans quelles conditions. Le président Sall, élu en 2012 et réélu en 2019, ne s'est pas exprimé dans l'immédiat, ses collaborateurs disant "prendre acte" sans remettre en question le verdict du Conseil, qui n'est pas susceptible de recours.
Le Sénégal, réputé pour sa stabilité dans une région secouée par les coups d'Etat et les faits accomplis, est plongé dans l'une des plus graves crises politiques de son histoire post-indépendance depuis l'annonce le 3 février par le président Sall du report de facto de la présidentielle, prévue le 25 février.
L'Assemblée nationale a ensuite repoussé le scrutin au 15 décembre après avoir fait évacuer l'opposition de force et prolongé le mandat du chef de l'Etat jusqu'à l'installation de son successeur, à priori donc 2025. Cet ajournement a provoqué des heurts qui ont fait trois morts lors de manifestations réprimées, ayant aussi donné lieu à des dizaines d'interpellations. De nouveaux appels à manifester ont été lancés pour vendredi après-midi et samedi.
L'opposition et la société civile ont crié au "coup d'Etat constitutionnel", la première accusant le camp présidentiel de tenter de prévenir la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, et suspectant M. Sall de vouloir se maintenir au pouvoir. Le président a lui juré qu'il ne se représenterait pas pour un troisième mandat, justifiant le report par la crainte d'une contestation du scrutin susceptible de provoquer de nouveaux accès de violence après ceux de 2021 et 2023.
"Meilleurs délais"
M. Sall avait indiqué la semaine passée qu'il aviserait sur les conséquences qu'il tirerait d'une éventuelle invalidation du report. "Les Sages cassent tout", titraient vendredi les journaux Walf et Sud Quotidien.
Le Conseil constitutionnel, saisi par des opposants au report, a constaté "l'impossibilité d'organiser l'élection présidentielle à la date initialement prévue", compte tenu du retard pris par le processus, et "invite les autorités compétentes à la tenir dans les meilleurs délais". Il a réaffirmé le principe d'"intangibilité" de la durée de cinq ans du mandat présidentiel, celui du président Sall expirant le 2 avril.
Chacun convenant que voter le 25 février est devenu concrètement impossible, les interrogations portent désormais sur la date du scrutin et la liste des concurrents. Les "Sages" avaient validé 20 candidatures en janvier. Pour Babacar Gueye, un constitutionnaliste coordinateur du collectif de la société civile Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection"), qui a mobilisé contre le report, l'invalidation du report est "historique".
Face à l'inquiétude partagée par les partenaires étrangers du Sénégal, le système a "finalement montré qu'il (avait) des ressorts pour surmonter de très grosses crises", dit-il à l'AFP. Quant à la date de l'élection, "le Conseil n'a pas fixé d'horizon, il a simplement dit 'les meilleurs délais'. C'est à la fois rapidement mais dans de bonnes conditions", interprète-t-il.
Si les Sénégalais ne votent pas avant la fin du mandat en cours, le président de l'Assemblée nationale, qui assurera l'intérim, aura 90 jours pour organiser le vote.
Le porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, a noté lui aussi que le Conseil paraissait laisser une marge de manoeuvre. "Si le Conseil constitutionnel et l'Assemblée nationale ont des points de vue différents, il (le président) doit avoir une situation de hauteur", a-t-il dit à la radio française RFI, soulignant que l'offre présidentielle de dialogue tient toujours.
Dans l'opposition, Amadou Ba a déclaré que "Macky doit organiser l'élection présidentielle avant la fin de son mandat le 2 avril 2024, qui reste la date de passation", a rapporté Walf.
Amadou Ba est le mandataire de Bassirou Diomaye Faye, numéro deux du parti dissous Pastef, qui a livré au pouvoir après 2021 un bras de fer ponctué d'épisodes meurtriers. Des centaines de sympathisants de ce parti et des membres de la société civile ont été arrêtés.
Le jour même de la décision du Conseil, dans un geste d'apaisement, de nombreux opposants détenus depuis plusieurs mois ont été libérés jeudi, a constaté l'AFP. Souleymane Djim, membre du Collectif des familles de détenus politiques, les a chiffrés à 64, le gouvernement conteste pour sa part qu'il y ait des détenus politiques au Sénégal.
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