"En tant que caricaturiste éditoriale, mon travail consiste à tenir les personnes et les institutions puissantes responsables de leurs actes. Pour la première fois, mon rédacteur m'a empêchée de remplir cette mission cruciale. J'ai donc décidé de quitter le Post".
Le samedi 4 janvier 2025, Ann Telnaes, dessinatrice de presse et lauréate du prix Pulitzer, revenait ainsi sur son départ fracassant, 24 heures plus tôt, du Washington Post, journal avec lequel elle collaborait depuis 2008. En cause, le refus de la direction de publier une de ses caricatures. Celle-ci montre des personnages américains de premier plan, agenouillés et tendant des sacs d'argent vers un escalier monumental représentant le président-élu Donald Trump.
Au pied de ces marches figurent notamment une souris représentant Mickey symbolisant le géant du divertissement Disney, mais aussi Jeff Bezos, propriétaire du Washington Post et fondateur d'Amazon ; Mark Zuckerberg, PDG de Meta ; Sam Altman, patron d'OpenAI et Patrick Soon-Shiong, éditeur du Los Angeles Times.
"Dangereux pour une presse libre"
Les trois derniers ont récemment décidé de financer la cérémonie d'investiture de Trump – dont la diffusion est prévue par ailleurs en direct sur Amazon – à hauteur d'un million de dollars chacun. Quant à Disney, l'entreprise vient de consentir à verser 15 millions de dollars pour régler une plainte en diffamation du prochain locataire de la Maison-Blanche.
"Le dessin critique les PDG milliardaires de la tech et des médias qui ont fait de leur mieux pour s'attirer les faveurs du président élu. Il y a eu récemment de nombreux articles sur ces hommes qui, disposant de contrats gouvernementaux lucratifs et souhaitant éliminer les réglementations, se rendent à Mar-a-Lago (la résidence floridienne de Trump)", décrit Ann Telnaes.
Selon elle, jamais auparavant un de ses dessins n'avait été refusé pour des raisons éditoriales liées à son message politique. "C'est un changement de donne... et c'est dangereux pour une presse libre", estime la caricaturiste, alors que David Shipley, rédacteur en chef de la page éditoriale du Washington Post, justifie la décision par une simple question de timing, arguant qu'un éditorial sur le même sujet venait d'être publié.
Le grand revirement face à Trump
L'incident s'inscrit dans un contexte plus large de repositionnement des grands groupes médiatiques et technologiques américains face au retour de Donald Trump. Le Washington Post et le Los Angeles Times ont ainsi rompu avec leur tradition en s'abstenant d'appeler à voter pour un candidat lors de la présidentielle de novembre 2024, sur demande expresse de leurs propriétaires.
Amazon prépare un documentaire à la gloire de l'épouse de Trump, Melania, pour une diffusion dans quelques mois. Un virage à 180 degrés par rapport au premier mandat du Républicain (2016-2020), marqué par une guerre ouverte entre Jeff Bezos et le président.
Les temps semblent avoir radicalement changé. Désormais, c'est un défilé de patrons de la tech qui se presse à Mar-a-Lago pour courtiser le président élu. D'après le New York Times, cela tiendrait à une compréhension du personnage Trump.
Pour Bezos, la proximité avec la nouvelle administration semble d'autant plus cruciale qu'Elon Musk, un de ses meilleurs ennemis, murmure désormais à l'oreille du chef de l'État à qui il a contribué pour plus de 250 millions de dollars à l'élection.
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