- Une société civile dynamique -
"La société civile kényane est plus robuste et plus dynamique que de nombreuses autres dans la région et cela vient vraiment de la lutte pour le multipartisme au Kenya (1992)", résume Sarah Jackson, directrice adjointe du bureau régional d'Amnesty International pour l'Afrique de l'Est.
En 2007-2008, durant les pires violences électorales de l'histoire du Kenya indépendant (1963), les organisations kényanes de défense des droits de l'homme s'étaient mobilisées pour documenter les troubles et demander justice.
L'actuel président Uhuru Kenyatta et son vice-président William Ruto avaient tous deux été inculpés par la Cour pénale internationale pour ces violences, qui avaient fait au moins 1.100 morts.
Les charges ont depuis été abandonnées, mais de nombreux observateurs kényans estiment que les deux hommes en ont nourri un vif ressentiment contre un large pan de la société civile.
Une défiance alimentée un peu plus en 2013: ce furent alors des organisations de la société civile qui avaient porté devant la Cour suprême un recours, finalement rejeté, contre l'élection de M. Kenyatta et de son colistier M. Ruto.
Le gouvernement n'a pas rendu la vie facile à nombre de ces organisations: l'organe de régulation du secteur (NGO Board), directement dépendant du ministère de l'Intérieur, a multiplié les mesures administratives depuis 2015 (agréments révoqués, audits des comptes bancaires), interprétées par les intéressés comme des tentatives pour les réduire au silence.
Ce même organisme a tenté le 15 août de faire cesser les activités de la Commission kényane des droits de l'Homme (KHRC) et d'AfriCOG, engagée dans la transparence de la vie publique, alors que celles-ci envisageaient de saisir la justice sur l'élection présidentielle. Le ministre de l'Intérieur a finalement fait machine arrière devant le tollé suscité.
- En direct à la télévision -
De la campagne électorale au scrutin, puis aux débats de la Cour suprême, les Kényans ont pu assister en direct à la télévision aux principaux développements des élections générales du 8 août.
Economie la plus dynamique d'Afrique de l'Est, le Kenya abrite plusieurs groupes de médias privés dont la capacité de déploiement sur le terrain, dans un contexte ultra-concurrentiel, le place parmi les plus développés du continent en la matière, sans oublier un taux de pénétration de l'internet et une utilisation des réseaux sociaux très développée.
"L'avènement de la couverture live au Kenya signifie que le Kényan lambda a un accès à des informations qui ne sont pas filtrées ou diluées. Quand le président s'adresse à la Nation, ou tout autre homme politique, les Kényans y ont accès et peuvent se forger une opinion", explique Dismas Mokua, analyste politique kényan.
Le 15 août, alors que policiers et administration fiscale venaient de se présenter au siège d'AfriCOG pour y mener une perquisition, plusieurs chaînes avaient retransmis la scène en direct, donnant aux responsables d'AfriCOG la possibilité de prendre à témoin le reste du pays.
Là encore, comme le rappelle Mme Jackson, le secteur est confronté à de nombreux défis, comme des "menaces et du harcèlement contre des journalistes kényans" et une forme "d'autocensure sur les sujets sensibles", comme les violences électorales des dernières élections.
De même, tandis que le gouvernement peut menacer tel ou tel quotidien de réduire ses annonces légales et donc le priver d'importantes recettes publicitaires, l'opposition appelait le 13 août au boycott du Nation Media Group et de sa chaîne NTV pour sa couverture selon elle biaisée de la présidentielle.
Ironie de l'histoire, la seule chaîne à diffuser cet appel en direct était précisément NTV.
- La révolte des juges -
Longtemps brocardée pour la corruption endémique dans ses rangs, la magistrature kényane a récemment montré des gages d'indépendance.
L'invalidation de la présidentielle par la Cour suprême en est l'illustration la plus éclatante et son écho a largement débordé le contexte kényan. Mais dès avant l'élection, des magistrats avaient donné raison à l'opposition dans plusieurs contentieux pré-électoraux.
En février, la justice avait infligé un camouflet au gouvernement en annulant sa décision de fermer le grand camp de réfugiés somaliens de Dadaab, la jugeant "discriminatoire et donc inconstitutionnelle".
La Constitution de 2010 a renforcé l'indépendance des juges en créant notamment la Cour suprême et instaurant un mécanisme de nomination de ses sept membres sur lequel le président n'a quasiment aucun moyen d'interférer.
Les contre-pouvoirs au Kenya pourraient cependant être mis à rude épreuve dans les mois à venir. M. Kenyatta, après la décision de la Cour suprême, a vilipendé la magistrature estimant qu'elle posait "un problème" qu'il fallait "régler".
Pour Dimas Mokua, la Constitution a certes doté le pays d'institutions fortes, mais beaucoup repose encore sur le "courage" des Kényans placés à leur tête.
Avec AFP