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Les déplacés du Kasaï racontent une violence incompréhensible


Des policiers encadrent un groupe d’homme près des tombes nouvellement creusées sur les lieux d'un accident de train dans la jungle à Ndenga Mongo, province de Kasaï, RDC, 4 août 2007.
Des policiers encadrent un groupe d’homme près des tombes nouvellement creusées sur les lieux d'un accident de train dans la jungle à Ndenga Mongo, province de Kasaï, RDC, 4 août 2007.

C'était une journée de mai à Biponga, dans le centre de la République démocratique du Congo. "Les miliciens ont surgi et ont réuni la population", raconte Nzenga, "ils disaient qu'ils venaient pour libérer le peuple".

Parvenus à moto dans ce village proche de Tshikapa, la capitale de la province du Kasaï, les assaillants, une dizaine, le front ceint d'un bandeau rouge, étaient armés de machettes, de bâtons et de flèches.

"Les miliciens ont incendié des maisons et ont décapité mon mari. Ils l'accusaient de travailler pour le gouvernement parce qu'il était infirmier", poursuit Nzenga. "Ils ont tué quatre autres personnes qui refusaient d'écouter leur message".

N'emportant rien, Nzenga a fui avec ses cinq enfants. Après plusieurs jours de marche, ils ont trouvé un véhicule pour les déposer à l'entrée de Kikwit, la plus grande ville de la province du Kwilu, à plus de 350 kilomètres de Tshikapa.

La famille fait désormais partie des "déplacés" du conflit qui oppose l'armée congolaise et les miliciens se revendiquant "Kamwina Nsapu", nom d'un chef coutumier tué par les forces de l'ordre en août 2016 après avoir remis en cause les autorités congolaises.

Sa mort a mis le feu aux poudres et, depuis septembre, plusieurs milliers de personnes ont été tuées dans les violences ayant gagné quatre provinces du Grand Kasaï.

A Kikwit, ainsi que dans les territoires de Gungu et Idiofa, proches de la frontière avec le Kasaï, les civils continuent d'affluer: 16.872 personnes, dont une majorité de femmes et d'enfants, ont déjà été enregistrées par les autorités et une association congolaise partenaire du Haut Commissariat de l'ONU pour les réfugiés (HCR).

En l'absence de structures d'accueil officielles, les déplacés, affamés et dépourvus de tout, trouvent refuge dans des églises et chez des habitants.

- 'Casser la famine' -

Paulin Kiyankayi, médecin à l'hôpital général de Kikwit, en reçoit depuis le mois de mars : "Ils souffrent d'anémie, de fièvres, de diarrhée et d'écorchures, séquelles de la fuite. Tous sont affectés par la malnutrition. Certains ont mangé du sable pour casser la famine".

"Notre village est désert: les habitants sont soit morts, soit partis", dit Jean Kitambala, commerçant ambulant de 41 ans, qui serre ses deux enfants dans ses bras.

Les trois autres ont disparu pendant la fuite. Leur mère, dit-il, a été décapitée par les miliciens dans le territoire de Kamonia, près de Tshikapa: "Ils étaient déjà venus en janvier, mais ont commencé à tuer en mai. La population craignait aussi les opérations de l'armée, car beaucoup d'hommes sont considérés comme des miliciens" par les militaires.

Comme à Biponga, les assaillants de Kamonia avaient appelé la population à l'insurrection contre le président Joseph Kabila, dont le second mandat s'est achevé en décembre 2016. Depuis, M. Kabila, à qui la Constitution interdit de se représenter, se maintient à son poste en vertu d'une décision contestée de la Cour constitutionnelle.

L'organisation rapide d'une présidentielle apparaît hautement hypothétique et le gouvernement répète fréquemment que le conflit au Kasaï est de nature à entraver la bonne organisation du scrutin.

- Mystère -

Surpris par une telle violence dans cette province jusqu'alors paisible, de nombreux "déplacés" disent ne pas comprendre les raisons de ce conflit, qui s'est intensifié depuis la fin décembre.

"Ces gens tuent de manière mystérieuse", dit M. Kitambala, qui évoque les armes rudimentaires portées par les miliciens et leurs rites d'initiation.

Dans les sites d'accueil de Kikwit, beaucoup s'inquiètent des tensions entre les différentes communautés du Kasaï, ajoutées au conflit initial entre les autorités provinciales et les "Kamwina Nsapu".

"Si vous acceptez de les rejoindre, les miliciens vous laissent en vie. C'est devenu une guerre entre populations", assure Kaluma, 63 ans, venu il y a dix ans chercher du travail dans les zones diamantifères de Tshikapa.

Son neveu a été tué par des miliciens Luba, population à laquelle appartenait le chef Kamwina Nsapu. L'attaque a été suivie d'une riposte par des miliciens Pende et Tchokwe, deux autres communautés présentes au Kasaï.Comme la grande majorité des "déplacés", Kaluma est un Pende et s'est réfugié dans sa province d'origine. D'après lui, les tensions entre Luba, Pende et Tchokwe ont été ravivées par la réforme qui, en 2015, a divisé en trois l'ancienne province du Kasaï. "Nous vivions en paix auparavant", se souvient Kaluma.

Selon le Bureau de coordination des affaires humanitaires (Ocha) de l'ONU, 1,3 million de personnes ont dû quitter les provinces du Kasaï depuis août 2016, parmi lesquelles plus de 600.000 enfants, selon l'Unicef.

Avec AFP

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