A l'intérieur, des dizaines de joueurs serrent dans leurs mains des poignées de coupons de paris, le regard rivé vers un écran qui crache à plein volume, jeudi soir, les commentaires du match d'ouverture de la Coupe du monde de football.
"Je soutiens la Russie parce que c'est le pays organisateur, ils vont gagner ce match ainsi que la compétition", assure Ronald Nyenje, un chauffeur de 25 ans, qui a parié 50.000 shillings (13,11 euros) sur une victoire de l'équipe russe contre l'Arabie saoudite.
"Je vais essayer de regarder tous les matches de la Coupe du monde", promet-il.
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Les paris sportifs sont devenus ces dernières années un véritable phénomène de société dans toute l'Afrique de l'Est, portés par la démocratisation des smartphones et des applications de paris en ligne.
Les boutiques de paris ont essaimé dans les villes, bourgades et villages d'Ouganda. Et qu'importe si l'équipe nationale ne s'est pas qualifiée pour la Coupe du monde en Russie, les aficionados ougandais se frottent les mains devant les 64 rencontres de la compétition.
"Je me sens très bien quand je parie", confie à l'AFP Innocent Opiyo, un maçon de 26 ans.
"Parfois, je parie juste pour passer le temps. Je perds. Je gagne. Je perds. Je gagne. Du coup, je ne sais pas exactement si je les ai eus ou s'ils m'ont eu mais je pense que je suis gagnant" au final, explique le jeune homme, résumant six années de mises sur des rencontres de football.
Une chèvre et de l'espoir
"Parier, c'est bien mais, en même temps, c'est dangereux", ajoute Innocent, qui reconnaît les risques d'addiction conduisant des joueurs à miser au dessus de leurs moyens.
Le gouvernement ougandais, vite débordé par l'engouement des paris sportifs, a bien tenté de mettre en place de timides garde-fous, réglementant la localisation des magasins, leurs horaires de fermeture (22H00) et fixant à 25 ans l'âge minimum pour jouer.
Mais la plupart de ces règles ne sont guère respectées et la Commission nationale des paris, qui a vu le jour en 2016, dispose de peu de moyens et n'a qu'une vision très limitée de l'ampleur du secteur, de l'aveu même de son directeur Edgar Agaba.
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Ainsi, lors d'une récente soirée de football, un journaliste de l'AFP s'est rendu dans une boutique installée dans un marché très fréquenté, qui était ouverte après 22H00 et dans laquelle de jeunes hommes, dont certains avaient à peine 18, jouaient...
Eddy Wanyangha, parieur de 24 ans, a eu la chance récemment de gagner 250.000 shillings ougandais (environ 55 euros), ce qui lui a permis d'acheter une chèvre et de nourrir de grands espoirs de succès pour la Coupe du Monde.
"Je le prends comme un loisir mais il y en a qui en ont fait leur métier", explique-t-il.
Championnats exotiques
La presse ougandaise a en effet rapporté le cas de joueurs qui avaient quitté leur emploi pour se consacrer uniquement aux paris. Mais d'autres ont pris celui, moins risqué, de faire de l'argent sans miser le leur.
Ivan Kalanzi, 30 ans, s'est ainsi engouffré dans ce secteur lucratif en tant que consultant, monnayant ses conseils de pronostiqueur aux joueurs.
Le jeune homme revendique plusieurs milliers de souscripteurs payants, dans le pays et au sein de la foisonnante diaspora ougandaise, qu'il gère avec un ordinateur depuis l'arrière-boutique d'un magasin de vêtements de sport dans un centre commercial délabré de la capitale.
Et Ivan fait feu de tout bois, épluchant les cotes de matches dans des championnats pour le moins exotiques comme l'Albanie, l'Arménie, l'Azerbaïdjan ou la Zambie et proposant à ses clients les matches à fort potentiel de gains ou les paris les plus sûrs.
Le jeune entrepreneur est lui aussi bien conscient des risques d'addiction et d'endettement de ses clients mais, avance-t-il, quand vous comprenez le fonctionnement des cotes, "il est plus que probable que vous compreniez (aussi) ce que perdre un pari veut dire".
Lui aussi prévoit un boom de son activité pendant la Coupe du monde mais, nuance-t-il, c'est le genre de compétition où le coeur l'emporte souvent sur une approche froide et calculatrice.
Et Ivan n'échappe pas à la règle. Quand on lui demande son favori, il répond avec le coeur et sans consulter ses précieux tableaux: "le Brésil".
Avec AFP