Alors que des millions d'entre eux s'étaient rassemblés devant leurs télés pour suivre la rencontre avec la Croatie samedi soir, le courant s'est éteint subitement. Et de nombreuses villes se sont retrouvées plongées dans le noir tout le week-end.
D'après la Transmission Company of Nigeria (TCN), six centrales thermiques à gaz ont été fermées pour éviter l'"effondrement" du réseau après la rupture d'un gazoduc et des "problèmes techniques" sur des puits de gaz.
Conséquence, plus de 1.000 megawatts d'électricité ont été perdus, avant que la production remonte à 3.876 MW grâce aux réparations effectuées sur le gazoduc endommagé.
Le TCN a assuré mardi que le gaz "s'accumulait progressivement dans la plupart des centrales et que, d'ici un jour ou deux, la distribution de gaz et d'électricité devrait revenir à la normale".
Mais ce gigantesque black-out, qui a obligé ceux qui peuvent se le permettre à allumer leurs générateurs diesel, a une fois de plus souligné les défaillances chroniques qui affectent la distribution d'électricité au Nigeria.
Le géant d'Afrique de l'Ouest a beau produire 1,8 millions de barils de pétrole par jour, il fournit aux quelque 180 millions de Nigérians une infime fraction de leurs besoins en électricité.
Malgré une capacité de production d'environ 7.000 MW, la production réelle du pays oscille entre 2.500 et 5.000 MW, selon les chiffres publiés par la TCN.
En comparaison, l'Afrique du Sud, pays trois fois moins peuplé, produit 45.000 MW.
"Ces 10 dernières années, nous avons entendu nos décideurs fixer leur objectif à (...) 10.000 MW", affirmait récemment le spécialiste en énergie Obioma Onyi-Ogelle, sur le site Africa Check.
"C'est tout à fait insuffisant, nous pensons que le Nigeria a besoin d'au moins 50.000 MW pour satisfaire ses besoins", a ajouté cet enseignant de l'Université Nnamdi Azikiwe à Awka, dans le sud du Nigeria.
- Déficit énergétique -
Les centrales thermiques au gaz génèrent environ 85% de l'énergie du Nigeria, l'hydroélectricité fournissant presque tout le reste.
Plusieurs projets sont en cours pour stimuler la production, qui devraient apporter environ 5.000 MW à la capacité actuelle.
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Les pénuries de gaz, ainsi que le sabotage et le vandalisme sur les gazoducs affectent quotidiennement l'approvisionnement des 22 centrales thermiques au gaz et des trois centrales hydroélectriques du pays.
Le record de production, atteint en décembre 2017, n'a été que 5.156 MW. Depuis 2010, le réseau national, victime de sous-investissement chronique, s'est effondré près de 200 fois, selon les données obtenues auprès du ministère de l'Energie à Abuja.
La Banque mondiale estime qu'environ 75 millions de personnes n'ont pas accès à l'électricité.
Depuis le milieu des années 2000, le gouvernement a privatisé la société d'Etat Power Holding Company of Nigeria pour confier la production et la distribution d'électricité à des dizaines de sociétés privées (GenCos et DisCos), tout en conservant le contrôle de la transmission.
Les administrations précédentes ont affirmé avoir dépensé entre 11 et 16 milliards de dollars dans le secteur de l'énergie, sans résultats tangibles.
Le président Muhammadu Buhari, qui a promis d'augmenter la production à 10.000 MW, a accusé le mois dernier ses prédécesseurs d'avoir gaspiller des fonds publics dans le secteur.
- "Payer pour l'obscurité" -
Les industriels nigérians se plaignent de l'approvisionnement chaotique en électricité qui aggrave leurs difficultés, alors qu'ils peinent à sortir de la récession économique depuis 2016.
"De nombreuses industries, en particulier les petites, dépensent beaucoup d'essence et de diesel pour alimenter leurs usines", explique à l'AFP Muda Yusuf, de la Chambre de commerce et d'industrie de Lagos. "Cela augmente le coût des affaires et c'est pénible".
Certaines entreprises ont dû licencier pour se maintenir à flot, tandis que beaucoup d'autres ont fermé leurs portes ou déménagé dans d'autres pays, assure M. Yusuf.
Le gouvernement doit "revoir le modèle de privatisation", ajoute-t-il, affirmant que les opérateurs chargés de produire et distribuer l'électricité manquent de moyens financiers et techniques.
La grogne monte également du côté des particuliers. En mars, le Conseil de protection des consommateurs a mis en garde les DisCos contre les surfacturations arbitraires et les délestages.
"Les DisCos exploitent les consommateurs à travers des factures exorbitantes sans fournir de services correspondants", affirme Bimpe Bello, un habitant de Lagos.
"Chaque mois, on reçoit des estimations de factures qu'ils nous obligent à payer sans fournir les compteurs prépayés que le gouvernement a commandés", assure-t-il. "Nous ne pouvons pas payer pour l'obscurité".
Le prochain match du Nigeria aura lieu vendredi contre l'Islande, le leader mondial de la production d'énergie renouvelable.
Avec AFP