Au cours de plus d’un siècle d’existence, le FBI n’a jamais été dirigé par une femme, dans un milieu largement masculin depuis la création en 1908 du BOI, le Bureau d’Enquête d’alors, devenu une agence fédérale en 1935.
De même que la promotion d’Agent Spécial sera très rarement accordée à une femme, après la première femme admise à ce titre en 1922, Alaska Davidson, pionnière qui ouvrira la voie à une lente féminisation du Bureau sur plusieurs décennies.
Il faudra attendre ce début de 21ème siècle pour que les chiffres commencent à décoller, sous l’impulsion d’un renouveau du féminisme ; et depuis 2015, les femmes parviennent à s’imposer en plus grand nombre, notamment à des postes à responsabilité.
C’est le cas de Jill Tyson, nommée en 2019 directrice-adjointe du Bureau des affaires du Congrès au FBI, qui se souvient de sa première réunion entre hauts cadres: «Mon premier jour de travail, je suis entrée dans cette pièce et j'étais la seule femme. J'étais nerveuse, intimidée car toute nouvelle, mais j'ai essayé de canaliser cette nervosité pour la transformer en motivation», a-t-elle avoué. «Je travaille très dur pour m'assurer d'être à cette table. C'est aussi ce qui me motive ici, à faire des discours, à encadrer des femmes plus jeunes, car je pense qu'elles peuvent aussi gagner une place à cette table», affirme Mme Tyson.
Un an après la publication par le ministère de la Justice d’un rapport détaillant les préjugés sexistes au sein des principales agences américaines de maintien de l’ordre, plusieurs femmes ont engagé, début 2019, un recours collectif contre le FBI pour discrimination basée sur le genre.
L’agence fédérale, qui n’est pas en mesure de commenter les litiges, a transmis une déclaration à VOA Afrique affirmant que la diversité est l'une de ses valeurs fondamentales. «Pour accomplir efficacement notre mission de protéger le peuple américain, nous avons besoin de personnes de genres, d'horizons, d'expériences et de perspectives différentes», indique la direction du Bureau.
Mme Tyson, ancienne procureure ayant occupé divers postes à responsabilité au ministère de la Justice, met un point d’honneur à promouvoir l’égalité des chances en tant que membre du Conseil exécutif de la diversité du FBI. «Nous travaillons vraiment sur le message de l'inclusion, du respect et de l'égalité. C'est quelque chose dont je parle à mon personnel. Mes pairs et nos collègues en parlent également, tout comme le directeur du FBI, qui s’en soucie vraiment», souligne-t-elle, avant de préciser qu’elle est justement engagée dans le recrutement des femmes. «Pour ce qui est d'avoir plus de femmes, nous en sommes certainement ravis. Nous n'avons pas assez de femmes. C'est l'une des choses que j'aime vraiment dans mon travail, aider à recruter des femmes, les encadrer et les développer professionnellement à travers l'organisation», relève Mme Tyson.
En 2019, les femmes représentaient 36% des postulants au statut d’Agent spécial. Au final, elles représentent un cinquième des quelques 13.500 agents du FBI ; ce qui peut paraitre peu au prime abord, mais représente une évolution remarquable, surtout au cours des quatre dernières années, où l’on observe une diminution du nombre d’agents hommes, tandis que celui des femmes augmente rapidement depuis 2017.
En revanche, les femmes chefs de service et de secteur restent minoritaires. Au nombre de 70, elles représentaient 24% des cadres supérieurs au 9 janvier 2020. Keri Farley, agent spécial depuis douze ans, chef de section à la Division Antiterrorisme, est l’une de ces femmes. Pour elle, la question du plafond de verre ne se pose pas.
«En fait, ma nouvelle patronne, c’est la première femme directrice adjointe de la lutte contre le terrorisme. Ce n'est qu'un exemple parmi d’autres de la façon dont les femmes excellent au sein du FBI (…) Les femmes ont certainement la possibilité de réussir à tous les niveaux du FBI», pense l’experte en lutte anti-terrorisme.
Mme Farley, qui dit privilégier l’esprit d’équipe, avoue qu’elle a toujours voulu entrer au FBI, sans jamais se soucier de quelque considération basée sur le genre. Comme Jill Tyson, elle adhère totalement au principe de féminisation du Bureau ; d’autant plus que la touche féminine est indispensable, estime-t-elle, notamment dans la gestion de l’approche des victimes.
«Je dirais simplement qu'il est très important d'avoir des perspectives diverses dans tout ce que nous faisons. Qu’il s’agisse d’enquêter sur un crime ou de la réponse vis-à-vis des victimes, il est important de pouvoir communiquer avec tout le monde. Et dans certaines circonstances, vous savez, une femme peut avoir de meilleurs rapports avec une femme victime. De même qu’il est important d’avoir la diversité des religions et des races lorsque nous traitons de sujets et de personnes sur lesquels nous enquêtons », considère Mme Farley.
Le FBI a un Comité consultatif des femmes conçu pour renforcer les potentialités du personnel féminin et atteindre l’équilibre entre les genres. Sur cette question, un point marquant ressort des statistiques : les femmes dominent d'autres secteurs des agences fédérales anti-criminalité. En effet, selon le rapport du ministère de la Justice, 84% des spécialistes des ressources humaines sont des femmes, et elles représentent plus de la moitié des analystes du renseignement.
A la question de savoir quel pouvait être le principal défi d’un haut cadre du FBI, les deux femmes ont évoqué le bras de fer entre le gouvernement américain et Apple. Cette affaire, largement commentée par la presse américaine depuis cinq ans, est revenue au-devant de la scène le 13 janvier, lorsque le procureur général William Barr a appelé la marque à la pomme à aider le FBI à débloquer deux iPhones liés au meurtre de trois Américains sur une base navale de Floride en décembre.
«L'un des problèmes dont nous parlons beaucoup au Congrès en ce moment est ce que nous appelons l'accès légal. Sur certains téléphones portables, vous pouvez communiquer par des moyens cryptés. Cela signifie que, même si nous allons devant un tribunal pour demander un processus approprié et que cela est approuvé, nous ne sommes pas en mesure de déverrouiller ces téléphones pour voir les communications», déplore la directrice-adjointe du Bureau des affaires du Congrès au FBI.
Jill Tyson précise que cette problématique se pose notamment pour des cas tels qu’une fusillade de masse, une attaque terroriste ou le trafic des personnes et l’exploitation des enfants. «Nous devons voir quel type de communication, quelles images, quelles photos ils ont sur leurs téléphones afin de progresser dans notre enquête, de les poursuivre et de les traduire en justice pour aider les victimes», souligne-t-elle.
Le FBI est compétent pour enquêter en matière de terrorisme, contre-espionnage, corruption et crime organisé, parmi d’autres menaces pesant sur les Etats-Unis. Pour parfaire sa mission de protection des citoyens américains, l’agence a une soixantaine de bureaux à l’étranger, dont neuf en Afrique, et effectue des opérations avec ses partenaires qui conduisent à des arrestations de masse et démantèlements d’organisation criminelles tels que les réseaux de pédopornographie, de cybercriminalité ou de traite humaine.
Jill Tyson et Keri Farley soulignent qu’il est crucial de collaborer à l’échelle mondiale. «Notre personnel travaille avec les forces de l'ordre africaines pour prévenir les attaques et résoudre les problèmes locaux. De plus, nous avons des formations inter-Etats avec plusieurs pays qui viennent ici aux États-Unis dans le cadre de notre école nationale de formation, l’Académie du FBI à Quantico, en Virginie», explique Mme Farley, ajoutant que cette interaction se caractérise par «d'excellentes relations dans toute la région».
Jill Tyson, la plus jeune cadre du FBI, invite les femmes à se lancer dans les carrières du secteur sécuritaire et judiciaire: «Nous encourageons les femmes et les filles en Afrique qui pourraient être intéressées à rejoindre les forces de l'ordre ou une organisation similaire en Afrique, que ce soit au niveau étatique ou local, au niveau de la police ou des autorités fédérales. Plus nous aurons de femmes dans le domaine de l'application des lois à travers le monde, plus nous serons efficaces ; car grâce à cette perspective diversifiée au travail, et en ayant des points de vue féminins et masculins, ensemble, nous ferons un meilleur travail pour prévenir et résoudre le crime.»
Le 2 juin 1976, Sylvia Elizabeth Mathis, une avocate de 26 ans, est devenue la première femme afro-américaine agent spécial du FBI, qui lui avait alors remis «un attaché-case en cuir, un sac discret et un revolver avec canon retroussé assez court pour tenir dans le petit sac», commente le FBI. Comme Alaska Davidson en 1922, Jill Tyson et Keri Farley aujourd’hui, Sylvia Mathis a juré de faire preuve de Fidélité, Bravoure et Intégrité, les trois piliers de la devise du FBI.