Son équipe de 15 footballeuses s'est baptisée "le Défi", référence aux nombreux obstacles auxquels les jeunes joueuses font face : le manque d'équipement, l'absence de financement, la méfiance des autorités islamistes soudanaises...
"Nous espérons que cette équipe pourra un jour devenir une équipe internationale", affirme Sara, 29 ans, en regardant l'entraînement. Au-dessus de sa tête, des avions vrombissent en direction de l'aéroport. "Nous ne sommes pas plus mauvaises que les autres, nous manquons juste d'opportunités", dit-elle.
Fonçant sur le terrain vêtue d'un vieux maillot et d'un short verts, donnant des instructions et encourageant les filles, la jeune femme à la double casquette - joueuse et entraîneuse - est le moteur de l'équipe.
Née à Juba, elle est devenue citoyenne du Soudan du Sud en 2011, quand le pays a officiellement été divisé en deux au lendemain d'un accord de paix mettant fin à des années de guerre civile. Elle a beau vivre à Khartoum, elle ne pourra donc pas jouer avec l'équipe du Défi si celle-ci venait à être reconnue au niveau national.
- 'Pas de shorts' -
Sur le terrain, les filles s'entraînent sous une température avoisinant les 40° Celsius.
Elles portent toutes un short et un t-shirt, à l'exception de deux joueuses, couvertes des pieds à la tête, un foulard noué sur les cheveux, qui, selon Sara Edward, ont plus de difficultés à jouer.
"La société soudanaise considère que les femmes ne sont pas supposées porter de shorts", explique-t-elle. "Dans d'autres sports comme le volleyball, les femmes s'entraînent en jogging".
En 1983, le gouvernement a instauré la charia (loi islamique), pérennisée avec le coup d'Etat mené en 1989 par Omar el-Béchir, soutenu par les islamistes.
La loi soudanaise interdit aux femmes les vêtements "indécents" - sans plus de précision - sous peine de recevoir 40 coups de fouet ou une amende.
En juillet, 10 jeunes femmes chrétiennes du Kordofan-Sud avaient ainsi été arrêtées pour avoir porté des jupes et des shorts.
Pour l'instant, la police n'est pas intervenue auprès des joueuses du Défi. Mais Sara Edward soupçonne que la religion n'est pas totalement étrangère à la mise à l'écart du football féminin.
Avant la partition, le Soudan comptait 21 équipes de football féminin. Il n'en reste aujourd'hui qu'une, à l'université pour femmes d'Ahfad.
Alors pour s'entraîner, les joueuses du Défi affrontent des garçons. Il y a quatre ans, l'équipe a commencé à pratiquer sur les terrains de l'Association de football soudanais (AFS), à laquelle elle a demandé de l'aide pour les entraînements et l'équipement. Mais l'AFS n'a jamais livré les tenues promises à l'équipe féminine.
Sara Edward affirme avoir contacté l'Association de football et le ministère des Sports, leur proposant un changement de tenues, pour qu'elles soient moins "offensantes".
"Ils nous répondent : 'Inch'allah, inch'allah (si Dieu le veut) on vous aidera', mais rien n'a changé", confie-t-elle.
Le secrétaire exécutif de l'AFS, Hassan Abou Jabal, affirme lui que plusieurs équipes féminines se sont créées dans les universités et les écoles. "Nous essayons de les soutenir et de les encourager à pratiquer le sport en adéquation avec les coutumes locales", dit-il.
- 'Un sport de garçon' -
Le Défi fait également face aux critiques de certaines familles des joueuses.
"Certains membres de ma famille n'étaient pas d'accord pour que je joue au foot parce que je suis une fille - ils pensent que c'est un sport de garçon", raconte la milieu de terrain Nedal Fadlalah, l'une des premières à avoir rejoint, en 2002, cette équipe créée un an plus tôt.
Sa famille a migré du Kordofan-Sud vers Khartoum, à la recherche d'une vie meilleure.
"Nous appelons l'équipe 'Le Défi' parce qu'aucun obstacle ne nous résiste et nous avons toujours compté sur nous-mêmes", affirme Nedal, qui a fini par faire céder sa famille.
Comme Sara Edward, elle a l'intention de développer le football féminin. Les deux femmes ont, comme plusieurs autres footballeuses, suivi des formations à l'étranger pour être en mesure de coacher une équipe.
"Si parmi mes joueuses, dix peuvent devenir des entraîneuses, dans deux ans il pourrait y avoir dix équipes de football féminin au Soudan, qui formeraient aussi une équipe nationale...", rêve Sara Edward.
"Si seulement le Soudan nous donnait l'opportunité de devenir une équipe nationale, personne ne s'y opposerait", ajoute-t-elle en riant.