Une enquête nationale sur les loteries aux États-Unis a révélé que les détaillants de billets de loterie sont concentrés de manière disproportionnée dans les communautés pauvres dans presque tous les États.
L'enquête, menée par le Howard Center for Investigative Journalism - organisme dédié au journalisme d'investigation - à l'Université du Maryland, prouve que, à travers les jeux de hasard, un transfert massif de richesses a lieu des communautés à faible revenu vers de puissantes multinationales.
L'industrie de la loterie est dominée par deux sociétés privées: International Game Technology PLC, basée au Royaume-Uni, et Scientific Games Holdings LP, une société canadienne.
Autrefois rares, les loteries sont désormais présentes dans 45 des 50 États américains. Stimulées par plus d'un demi-milliard de dollars de dépenses publicitaires annuelles, les ventes de billets de loterie sont passées de 47 à 82 milliards de dollars depuis 2005, selon le World Lottery Almanac 2022, un baromètre publié par La Fleur. Dans 10 États, les loteries génèrent plus de revenus que les impôts sur les sociétés.
Dans la grande majorité des États, les points de vente de billets de loterie sont concentrés de manière disproportionnée dans les communautés ayant des niveaux d'éducation et de revenu inférieurs et des taux de pauvreté plus élevés, avec des populations plus importantes de Noirs et d'Hispaniques.
L'enquête a également révélé que l'une des principales promesses des loteries, à savoir que les bénéfices générés par les jeux de hasard sont utilisés pour financer les écoles, n'est qu'un tissu de mensonge.
Bien au contraire, les loteries aggravent souvent les inégalités existantes en transférant plus de ressources vers les districts scolaires les plus nantis, loin des quartiers où la plupart des billets sont vendus.
Un marché de dupes
Pour chaque dollar dépensé pour acheter un billet de loterie, les joueurs subissent une perte de 35 centimes, soit plus du tiers de leur participation. Ces pertes - évaluées à 29 milliards de dollars par an au niveau national - sont la raison d'être des loteries.
Dans l'imaginaire populaire, la loterie est financée par des personnes qui dépensent quelques dollars en passant pour un billet lorsque le gros est important. En réalité, plus des deux tiers des billets vendus concernent des tickets à gratter instantanés dont le prix varie de 1 à 50 dollars l'unité. Plus choquant: une minorité de joueurs accros est responsable de la plupart de ces achats.
Selon une étude datant de 1999, il s'agit pour la plupart de Noirs qui n'ont pas fait de longues études. Les Afro-Américains dépensaient, en moyenne, près de cinq fois plus que les Blancs en billets de loterie.
Certains États, comme le Massachusetts, ont pris conscience de l'importance des joueurs accros. Une étude de 2016 commanditée par la loterie a montré que les 10 % de joueurs les plus assidus représentent environ 40 % des ventes. Ils dépensent environ 200 dollars par semaine dans l'achat de tickets de loterie.
En Caroline du Sud, les joueurs dont le revenu est inférieur à 35 000 dollars par an ont dépensé plus de deux fois plus que les joueurs dont le revenu est compris entre 100 000 et 150 000 dollars, selon une étude de 2014 commanditée par l'État.
"Quand les gens pensent qu'ils ont touché le fond, ils dépensent les 10 ou 20 dollars qui leur restent en espérant gagner 100 à 400 dollars", explique Cloyd White, 26 ans, un ouvrier du bâtiment qui vit en Caroline du Sud. Il avoue dépenser 40 dollars chaque jour dans l'achat des billets de loterie. "C'est un pari et c'est risqué je sais, mais j'ai l'impression que c'est Dieu qui décide au final", dit-il.
La complicité des gouvernements
L'enquête montre aussi que les gouvernements sont complices, car ce sont les autorités des différents États qui déterminer où les billets de loterie sont vendus.
"Tant de points de vente de billets de loterie sont concentrés dans les zones à faible revenu", souligne Les Bernal, directeur national de Stop Predatory Gambling (Arrêtez la prédation par les jeux de hasard). "C'est à dessein", explique-t-il.
Seuls l'Alabama, l'Alaska, Hawaii, l'Utah et le Nevada n'autorisent pas la loterie.
Sur les 29 milliards de dollars perdus par les joueurs, les sociétés en garderont plus d'un quart, soit 8 milliards de dollars. Les points de vente reçoivent une commission pour la vente des billets. Ils gagnent, en moyenne, 6 %, mais touchent aussi des bonus lorsqu'un client gagne gros. En 2020, ils ont encaissé 5 milliards de dollars, selon le baromètre de La Fleur. Sur les 82 milliards de dollars dépensés dans la loterie, seuls 21 milliards sont alloués aux dépenses publiques.