Dans ce scrutin, qui doit marquer la fin d'une transition militaire de trois ans et que tout le monde annonçait comme joué d'avance en faveur du jeune général de 40 ans il y a encore dix jours, l'économiste Masra, 40 ans aussi, pourrait jouer les troubles-fête et le pousser au second tour. Lui, espère maintenant créer la surprise.
L'annonce anticipée des résultats, 12 jours en avance sur le calendrier officiel, laisse place à toutes les spéculations. D'autant que le camp Masra se livre ostensiblement depuis le soir du dépouillement à son propre décompte des voix, parallèlement au seul autorisé, celui de l'Agence Nationale de Gestion des Elections (ANGE), composée et nommée par le pouvoir militaire.
"La cérémonie de la proclamation solennelle des résultats provisoires du scrutin présidentiel du 6 mai se tiendra ce jour (...) à partir de 20 heures (19 heures GMT)", a annoncé jeudi Ahmed Bartchiret, le président de l'ANGE. Lundi, huit autres candidats ont concouru contre MM. Déby et Masra mais, peu connus ou réputés peu hostiles au pouvoir, il n'avaient aucune chance de grappiller plus que quelques suffrages.
"Pilote et copilote"
Dès l'annonce de sa candidature, Masra indiquait qu'il y participait pour perpétuer l'équipage actuel des "pilote et copilote" (M. Déby et lui, Ndlr) d'un avion en vol "vers la démocratie". Ses anciens alliés d'une opposition très violemment réprimée et muselée depuis trois ans l'accusaient d'être un "traître" rallié à la junte et dénonçaient une candidature censée donner un "vernis démocratique" à un scrutin "joué d'avance" en faveur du général, afin de prolonger une "dynastie Déby" vieille de près de 34 ans.
Mais le jeune économiste Masra a surpris tout le monde en rassemblant des foules considérables durant sa campagne, au point de s'enhardir et se dire capable de l'emporter, sinon de pousser M. Déby jusqu'à un second tour prévu le 22 juin.
Après 30 années à diriger le Tchad d'une main de fer, le maréchal Idriss Déby Itno avait été tué par des rebelles en avril 2021 en se rendant au front, et l'armée avait immédiatement proclamé son fils Mahamat Président de transition à la tête d'une junte de 15 généraux.
Trois ans plus tard, le jeune général tente de faire légitimer sa présidence dans les urnes. Nombre d'observateurs prédisaient jusqu'à récemment qu'il s'agirait d'une formalité, comme pour son père, officiellement élu et réélu confortablement six fois après son coup d’État de 1990.
Mais des ONG internationales ont émis des doutes sur une élection "ni libre, ni crédible" après que la junte eut violemment réprimé, jusque dans le sang, toute opposition et écarté de la course à la présidence les rivaux les plus sérieux du général Déby.
"Assassiné"
L'un d'eux, le propre cousin de Mahamat Déby et son plus farouche opposant, Yaya Dillo Djérou, a été tué le 28 février par des militaires qui avaient pris d'assaut le siège de son parti. L'opposition assure qu'il a été "assassiné", d'une "balle dans la tête à bout portant".
L'existence d'un "système de fraude depuis plusieurs élections" aurait poussé le camp de M. Masra à la méfiance à l'égard de l'ANGE, chargée du décompte des suffrages, assure à l'AFP un cadre du parti de M. Masra, qui requiert l'anonymat.
Au diapason du reste de l'opposition qui appelait à boycotter le scrutin, la Fédération Internationale pour les droits humains (FIDH) s'était inquiétée le 3 mai d'une "élection qui ne semble ni crédible, ni libre, ni démocratique", "dans un contexte délétère marqué par (...) la multiplication des violations des droits humains".
L'ONG International Crisis Group (ICG) avait également émis des "doutes sur la crédibilité du scrutin" après l'éviction des candidats d'une "opposition politique muselée".
Mercredi, le parti Les Transformateurs de M. Masra a dénoncé des "menaces graves" contre son chef et ses partisans ainsi que "des violences et arrestations arbitraires" contre ces derniers depuis le scrutin, ainsi que des fraudes. Et appelé "le peuple" à "défendre sa volonté exprimée dans les urnes".
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