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Une offensive de Haftar dans le sud libyen fait craindre de nouvelles tensions


L'homme fort de l'est libyen, Khalifa Haftar, lors d'une conférence sur la sécurité à Benghazi, Libye, le 14 octobre 2017.
L'homme fort de l'est libyen, Khalifa Haftar, lors d'une conférence sur la sécurité à Benghazi, Libye, le 14 octobre 2017.

Vaste région désertique aux confins de l'Algérie, du Niger, du Tchad et du Soudan, le sud a été globalement délaissé par les autorités rivales libyennes se disputant le pouvoir dans le nord.

Destinée à combattre "terroristes" et groupes armés étrangers, une offensive lancée par l'homme fort de l'est libyen, Khalifa Haftar, dans le sud de la Libye, pourrait exacerber les tensions politiques et ethniques dans un pays déjà plongé dans le chaos.

Plus de sept ans après la chute de Mouammar Kadhafi, la Libye reste profondément divisée avec, d'un côté, un gouvernement d'union nationale (GNA) basé dans la capitale Tripoli (nord-ouest), issu d'un processus onusien. Et, de l'autre, un cabinet parallèle appuyé par l'Armée nationale libyenne (ANL) autoproclamée du maréchal Khalifa Haftar, qui règne sur le nord-est.

Vaste région désertique aux confins de l'Algérie, du Niger, du Tchad et du Soudan, le sud a lui été globalement délaissé par ces autorités rivales se disputant le pouvoir dans le nord.

Mi-janvier, l'ANL a toutefois lancé une offensive dans cette région où les réseaux jihadistes et de contrebande pullulent, assurant vouloir la "purger" "des groupes terroristes et criminels".

Après avoir annoncé, quelques jours plus tard, l'élimination d'un homme présenté comme un dirigeant d'Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi), l'armée du maréchal Haftar a affirmé concentrer son action sur des groupes rebelles tchadiens accusés d'alimenter l'insécurité et de profiter des frontières poreuses pour établir des bases arrières.

Cette opération fait toutefois courir le risque de raviver les tensions dans une région marquée, jusqu'à la signature d'un accord de paix en 2017, par des combats sanglants entre la communauté Toubou et des tribus arabes.

"Nettoyage ethnique"

Les Toubou, minorité libyenne à la peau noire qui se plaint de longue date de discrimination, a d'ores et déjà crié au "nettoyage ethnique".

Ils accusent l'ANL, qui compte pourtant en son sein des Toubou, d'avoir chargé des tribus rivales arabes de pénétrer dans leurs zones.

Alors que l'armée du maréchal Haftar a annoncé vendredi avoir combattu des rebelles tchadiens à Ghudduwah, au sud de Sebha (650 km de Tripoli), avant de mener dimanche des frappes aériennes contre ces groupes, les Toubou libyens disent avoir été également visés.

Et la colère a gagné leurs représentants dans le nord-est libyen.

Interrogé par l'AFP, Youssef Kalkouri, qui siège au parlement de Tobrouk, a souligné que les Toubou s'opposaient catégoriquement à l'entrée dans leurs villes de forces des tribus arabes d'Awled Souleimane et d'al-Zwei.

Une autre députée Toubou a annoncé la suspension de sa participation aux travaux de l'Assemblée, tandis qu'un ministre Toubou du cabinet parallèle de l'est a présenté sa démission. Tous deux ont repris les accusations de "nettoyage ethnique".

En réponse, le général Ahmed al-Mesmari, porte-parole de l'ANL, a dénoncé une "campagne médiatique".

"Nos frères Toubou combattent à nos côtés", a-t-il assuré à l'AFP, se félicitant de l'opération "héroïque" de l'ANL "en train de nettoyer le sud du terrorisme, du chaos et de la présence étrangère".

Selon l'analyste Jalal al-Fitouri, les Toubou sont de facto divisés: "une partie refuse la présence des rebelles tchadiens et soutient l'ANL, l'autre soutient les (rebelles) Tchadiens et profite avec eux de la contrebande et de la traite des êtres humains".

Cartes redistribuées ?

D'après des analystes, derrière l'opération militaire de l'ANL se cachent aussi des enjeux pétroliers, les Toubou contrôlant d'importants champs entre Koufra, Mourzouk et Oubari.

Après trois semaines de silence, le GNA a lui dénoncé mercredi l'"escalade militaire" dans le sud. Cette région "ne doit pas devenir un terrain de règlement de compte politique ou de sédition entre composantes sociales et culturelles", a-t-il dit dans un communiqué.

Plus largement, l'opération militaire du maréchal Haftar risque de saboter les efforts visant à mettre fin à la crise politique libyenne, avec la tenue cette année d'élections comme prévu par l'ONU, a avancé le GNA.

Dans un geste inédit qui vise clairement à empêcher M. Haftar de faire cavalier seul, Tripoli a annoncé la nomination d'un ancien haut responsable militaire du régime Kadhafi, Ali Kana, comme chef militaire pour la région sud.

Le général Kana, qui avait soutenu Kadhafi jusqu'à sa mort, avait fui la Libye en 2011 avant de rentrer en 2015 dans son sud natal, où il bénéficie du soutien de plusieurs grandes tribus, dont les Touaregs et celle de Kadhafi.

Des représentants des Toubou ont évoqués ces derniers jours la possibilité d'un front commun avec le général Kana contre l'ANL.

Ce dernier pourrait ainsi voir ses ambitions freinées, même s'il semble bénéficier d'un soutien tacite de certains pays, en particulier de la France, dit l'analyste Emad Badi.

Dans une déclaration, le Quai d'Orsay a en effet estimé que l'opération du maréchal Haftar avait permis "d'éliminer des cibles terroristes importantes" et constituait un moyen d'"entraver durablement l'activité des trafiquants d'êtres humains".

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