La campagne de trois semaines qui s'achevait vendredi, observée avec inquiétude par la communauté internationale, s'est déroulée dans un climat de méfiance, en particulier autour de la révision des listes électorales, sur fond de grèves - chroniques dans ce pays -, des enseignants, mais aussi des journalistes ou de pêcheurs.
Quelque 760.000 inscrits sont appelés aux urnes de 07H00 (GMT et locales) à 19H00 pour un scrutin à la proportionnelle à un tour, avec pour la première fois un minimum de 36 % de femmes candidates, dont les premiers résultats sont attendus 48 heures plus tard.
Ce vote pèsera dans le rapport de forces entre le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC, actuellement 42 députés), le Madem-G15, constitué de 15 frondeurs de l'ex-parti unique, qu'ils ont privé de sa majorité, et le Parti du renouveau social (PRS, 41 députés), confrontés à 18 autres formations.
A Bissau, les militants du Madem-G15 (Mouvement pour le changement démocratique) ont installé des hauts-parleurs diffusant à plein volume des chants à la gloire de leurs candidats, à proximité des bâtiments de leurs anciens camarades du PAIGC.
La crise a éclaté en août 2015 lorsque le président Vaz a limogé son Premier ministre Domingos Simoes Pereira, chef du PAIGC, auquel M. Vaz appartient également, qui domine la vie politique depuis l'indépendance en 1974.
- Premier ministre de consensus -
Ces tensions inquiètent d'autant plus la communauté internationale que l'élection de M. Vaz avait marqué un retour progressif à l'ordre constitutionnel dans ce pays jusqu'alors en proie à une instabilité chronique, avec en 45 ans quatre putschs réussis et seize tentatives de coups d'Etat, qui a favorisé l'implantation de narcotrafiquants bénéficiant de la protection de hauts responsables militaires.
Dans une résolution adoptée le 28 février, le Conseil de sécurité de l'ONU se déclare "préoccupé par les répercussions néfastes que la récente crise politique et institutionnelle a eues sur les progrès réalisés depuis le retour à l'ordre constitutionnel après les élections de 2014".
Après plus de deux ans de blocage des institutions, notamment du Parlement, un accord conclu le 14 avril 2018 à Lomé sous l'égide de la Communauté économique des États d'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a finalement abouti à la désignation d'un Premier ministre de consensus, Aristide Gomes.
M. Gomes s'est vu confier pour tâche principale de conduire le pays aux législatives, initialement fixées au 18 novembre mais reportées au 10 mars en raison de problèmes politiques et techniques, notamment dans l'enregistrement des électeurs, au cours d'un processus émaillé d'irrégularités, selon plusieurs partis, dont le PRS.
En campagne la semaine dernière à Bubaque, dans l'archipel des Bijagos (ouest), le président du PRS, Alberto Nambéia, a averti que son parti "n'acceptera pas les résultats" s'il les estime faussés, notamment par des incohérences dans les listes électorales.
- Scrutin présidentiel prévu en 2019 -
Il n'a pas précisé comment se manifesterait cet éventuel refus, mais des analystes soulignent la proximité de sa formation avec certains dirigeants de l'armée, bien que le PRS fasse partie des 19 partis ayant signé en février un "Pacte de stabilité" par lequel elles s'engagent à recourir aux voies légales en cas de contestation.
Dans sa résolution, le Conseil de sécurité réaffirme la nécessité "que les forces de défense et de sécurité continuent de s'abstenir de toute ingérence dans la situation politique", "se félicitant de la retenue dont elles font preuve à cet égard et du calme manifesté par le peuple bissau-guinéen".
Dans ce régime parlementaire, le Premier ministre sera issu du parti victorieux, ce qui pourrait conduire en cas de succès du PAIGC à un nouveau face-à-face entre MM. Pereira et Vaz, alors qu'une élection présidentielle doit également se tenir d'ici la fin du premier semestre.
"Rien ne dit que ces élections permettront de résoudre les problèmes qui minent le pays", prévenait dans un rapport en décembre le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, pour qui "la solution passe peut-être par une révision de la Constitution de sorte que la répartition des tâches entre les deux figures y soit mieux définie".
Si le processus électoral se déroule de manière satisfaisante du point de vue de l'ONU, elle pourrait lever les sanctions internationales imposées à la suite du dernier coup d'Etat, en 2012.
Avec AFP