Attendus depuis plusieurs semaines, les premiers "billets d'obligation" de 2 dollars et "pièces d'obligation" de 1 dollar - selon leur dénomination officielle - ont fait leur apparition dans les rues de la capitale Harare.
Même indexées sur le dollar américain, ces pièces et petites coupures émises par la Banque centrale ont été accueillies du bout des doigts, aussi bien par les commerçants que par leurs clients.
"Je vais accepter les paiements en 'billets d'obligation', mais la question est de savoir ce que je vais en faire car certains magasins les refusent", s'est inquiété un chauffeur de taxi, Lewis Mapira.
Malgré une vaste campagne d'information officielle, la nouvelle monnaie suscite les pires craintes des Zimbabwéens, qui redoutent qu'elle ne nourrisse une nouvelle flambée des prix comparable à celle qui les avait ruinés au début des années 2000.
Pour éteindre l'incendie, le gouvernement de Robert Mugabe, qui dirige le pays d'une main de fer depuis 1980, avait alors abandonné sa devise privée de toute valeur, le dollar zimbabwéen, au profit du dollar américain et du rand sud-africain.
Mais il se trouve aujourd'hui à court de dollars et a décidé d'injecter des "billets d'obligation" pour tenter de relancer sa machine économique, au bord de l'assèchement.
Près des trois-quarts des 16 millions de Zimbabwéens vivent aujourd'hui sous le seuil de pauvreté et 90% de la population active n'a pas d'emploi formel.
Dans l'immédiat, la Banque centrale a prévu de mettre en circulation l'équivalent de 12 millions de dollars sous forme de "billets et pièces d'obligation".
Mais depuis l'annonce en mai de son lancement, la nouvelle monnaie souffre d'un grave problème de crédibilité, qui a poussé nombre de Zimbabwéens à se ruer aux guichets des banques pour en retirer des dollars américains.
Tous redoutent déjà la sanction du marché noir et un effondrement du cours des "billets d'obligation" par rapport au dollar.
'Rien de réglé'
"Ils nous donnent des 'billets d'obligation' parce qu'ils ne peuvent plus nous donner de vrais dollars", s'est plaint Lovemore Chitongo, 40 ans, un vendeur de chaussures, "mais il n'y aucune chance pour que cette monnaie reste équivalente au dollar".
Lui-même avouait discrètement lundi qu'il exigeait déjà 25 dollars de la nouvelle monnaie pour une paire de chaussures, contre seulement 20 dollars en véritables billets verts...
Experts comme opposants ne ménagent pas eux non plus leurs critiques contre la politique des autorités.
"Le gouvernement ne traite que les symptômes sans s'attaquer au coeur du problème, ce qui ne règlera rien", a déploré Antony Hawkins, économiste l'université du Zimbabwe.
"Le problème, c'est que nous ne récupérons pas assez de devises étrangères et les 'billets d'obligation' n'y changeront rien", a-t-il poursuivi. "Il y a un dicton en économie qui dit 'la mauvaise monnaie chasse la bonne'. C'est exactement ce qui va se passer", a pronostiqué M. Hawkins.
Le Mouvement pour un changement démocratique (MDC, opposition), qui a contesté la nouvelle monnaie devant la justice, a répété ces mêmes critiques lundi.
"Il s'agit d'un subterfuge pour réintroduire discrètement le dollar zimbabwéen", a déclaré son porte-parole Obert Gutu. "Les 'billets d'obligation' violent la Constitution et sont illégaux. Ils créent la panique", a-t-il déploré, "ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils ne provoquent de nouvelles pénuries".
Ce week-end déjà, de nombreux automobilistes se sont pressés dans les stations-service de peur d'une pénurie de carburant.
L'introduction de cette nouvelle monnaie a ravivé la fronde dirigée contre Robert Mugabe qui a agité le pays ces derniers mois.
Comme à son habitude, le régime a jusque-là réussi à l'éteindre par une répression féroce.
La semaine dernière, six militants de l'opposition ont été passés à tabac quelques heures avant un rassemblement contre la nouvelle monnaie. Lundi matin encore, la police a dispersé un rassemblement à Harare et arrêté l'un de ses organisateurs, selon un membre de l'opposition.
Le MDC a malgré tout promis de nouvelles manifestations mercredi, contre "l'effondrement de l'économie".
Avec AFP