Les ONG financées par la France au Mali sont plongées dans l'incertitude après l'interdiction de leurs activités annoncée par la junte et disent leur colère de voir les populations payer le prix des tensions entre Paris et Bamako.
"Nous avons un sentiment de sidération et de colère de voir l’aide publique française instrumentalisée et les ONG prises malgré elles dans ces jeux de relations diplomatiques", a déclaré à l'AFP Olivier Bruyeron, président de Coordination SUD, collectif d'ONG françaises, dont une quarantaine ont des activités au Mali.
Les ONG sont "encore en train de clarifier la portée exacte des décisions" de Paris et Bamako, a-t-il dit, mais se retrouvent déjà "dans une situation inacceptable". La junte militaire malienne a annoncé lundi l'interdiction des activités de toutes les ONG financées ou soutenues par la France dans un pays frappé par la guerre au Sahel, la propagation jihadiste et une crise alimentaire aigüe. Des centaines de milliers de personnes sont déplacées par le conflit.
Populations vulnérables
Selon l'ONU, 7,5 millions de Maliens sur une population de quelque 20 millions de personnes ont besoin d'une aide humanitaire d'urgence, fournie souvent jusqu'ici par des ONG internationales, des médicaments à la nourriture.
La junte malienne n'a fourni aucune précision quant aux ONG concernées ou aux types de financement visés. Dans la journée, Paris a demandé "aux ONG françaises de se conformer à la décision regrettable des autorités de transition maliennes", rappelant que "le Mali et sa population ont bénéficié chaque année depuis 2013 de plus de 100 millions d'euros d'aide" française au développement.
De nombreuses ONG opérant au Mali sont basées en France et y reçoivent des financements, comme Première Urgence Internationale (PUI), Humanité & Inclusion (HI), la Croix-Rouge française ou Solidarités International.
Le Premier ministre par intérim, le colonel Abdoulaye Maïga, avait justifié lundi cette décision par la suspension récente par la France de son aide publique au développement à destination du Mali. Paris avait invoqué, pour expliquer sa décision, le recours par le Mali au groupe paramilitaire russe Wagner, ce que Bamako dément.
Cette mesure servira-t-elle, comme le craint une source humanitaire à Bamako, à s'en prendre à des ONG en particulier? Ou est-ce une simple réponse du berger à la bergère, dans la lignée des échanges houleux entre Paris et Bamako depuis un an?
"Politique anti-ONG"
Le chercheur rattaché à l'Université de Kent à Bruxelles Yvan Guichaoua y voit "la concrétisation d'une politique anti-ONG commencée il y a quelques mois". Bamako, craint-il, "va devoir" après ce communiqué "se trouver des victimes expiatoires selon une logique davantage politique que budgétaire".
Plusieurs ONG ont été publiquement montrées du doigt ces derniers mois sur les réseaux sociaux après avoir "soigné des terroristes" au Mali - ce qui est partie intégrante du mandat de neutralité de la plupart d'entre elles.
Il y a une "tendance" qui s'est dessinée récemment, "visant à mieux contrôler l'action des ONG", dit Julien Antouly, chercheur à l'Université Paris-Nanterre, spécialiste des restrictions frappant les humanitaires. Il rappelle l'interpellation en avril de trois humanitaires allemands dans le pays, vite relâchés.
"Depuis le mois de juillet, des rumeurs couraient sur l'adoption de nouvelles mesures, une partie du gouvernement étant favorable à un durcissement des contrôles visant les ONG internationales. Ce qui est nouveau ici est que le gouvernement ne s'intéresse pas seulement à leurs activités mais aussi à leurs sources de financement", dit M. Antouly.
La suspension française de son aide publique au développement (APD) s'est faite en deux temps: en février d'abord, une large partie avait été suspendue après les saillies verbales entre Paris et Bamako qui avaient suivi l'expulsion de l'ambassadeur de France au Mali fin janvier, explique une source diplomatique française.
Cette première décision avait concerné environ 60% du total de l'APD française au Mali, environ 60 millions d'euros sur un total de 100, a-t-elle précisé. En novembre, une étape supplémentaire a été franchie avec la suspension des autres programmes de coopération de l'APD, à l'exception de "l'aide humanitaire" et quelques soutiens "à des organisations de la société civile maliennes", selon le Quai d'Orsay.