"J'ai difficilement reconnu ma mère", pleure Mjid, un quadragénaire.
Un médecin légiste qui préfère taire son nom raconte que les corps des victimes étaient dans un "état lamentable", avec des "fractures, d'énormes hématomes sur le corps".
Une foule de femmes de tous âges s'était rassemblée en matinée sur la place du marché de Sidi Boulaalam, un village rural et pauvre situé à environ 60 km au nord-est d'Essaouira, pour bénéficier d'une distribution de paniers de farine, d'huile et de sucre, organisée chaque année par un notable local.
Quinze ont été tuées et dix blessées lors d'une bousculade provoquée par l'affluence. Des enquêtes judiciaire et administrative ont été ouvertes pour déterminer les circonstances du drame qui a suscité l'indignation sur les réseaux sociaux et dans les médias.
"C'est comme le pèlerinage de la Mecque, si tu tombes, c'est fini pour toi et on va te marcher dessus", gémit une des rescapées depuis son lit d'hôpital. "Personne n'est venu nous aider, tout le monde criait à l'aide", raconte-t-elle à l'AFP.
A la morgue de l'hôpital d'Essaouira, les effluves d'encens peinent à atténuer l'odeur pestilentielle qui se dégage des cadavres enveloppés dans des couvertures.
Ma soeur est tombée
Les familles des défuntes identifient les corps avant de récupérer un certificat de décès. Des ambulances attendent la levée des dépouilles qui se seront inhumés dans plusieurs cimetières de la région.
"J'ai perdu ma grande soeur", se lamente Habiba, une femme emmitouflée dans une djellaba rose, un voile sur les cheveux.
"Elle était venue prendre de l'huile et de la farine, mais il y avait trop de monde. Ma soeur est tombée et on lui a marché dessus", déplore cette femme illettrée qui sort sa carte d'identité pour montrer sa date de naissance quand on lui demande son âge (57 ans).
"Les gens ici vivent dans le besoin, il n'y a pas d'agriculture, pas de travail", explique Mjid, un quadragénaire qui travaille à Casablanca, la capitale économique. Lui-même a fui jeune Sidi Boulaalam, un village de 8.000 âmes qui vivote de l'élevage, en retrait du développement des grandes villes marocaines, comme la plupart des zones rurales du pays.
Tragédie sans précédent
"Le 19 novembre 2017 restera dans l'Histoire du Maroc comme le jour d'une tragédie sans précédent (...). Le responsable final est connu. Il faut l'appeler par son nom. C'est la pauvreté", commentait lundi le site d'information Médias 24.
"Honte", titrait à la Une le quotidien arabophone Akhbar Al-Yaoum. Son site internet liste les noms et les âges des "martyres de la farine", âgées de 32 à 80 ans, pour la plupart mères de famille.
Les autorités locales, elles, estiment que la misère n'a rien à voir avec la tragédie.
"Certains sont venus de loin, d'Agadir ou de Marrakech pour profiter de l'aide. Les derniers arrivés pensaient qu'ils n'y arriveraient pas. En plus des nécessiteux, il y avait des citoyens qui n'avaient besoin de rien et sont venus pour profiter, ou même pour spéculer, pour prendre de l'aide et la vendre", a déclaré à l'AFP une source au sein de l'exécutif sous couvert de l'anonymat.
"C'est un problème d'encadrement et d'organisation. Les habitants ici sont modestes mais personne ici ne meurt de faim", assure Fatima, une habitante de Sidi Boulaalam.
"On attribue ça à la pauvreté. Mais la pauvreté c'est dans la tête des gens. (...) Il n'y a pas d'organisation, les gens ne savent pas ce que c'est que respecter une file d'attente", lance Khalid Azourar, un acteur associatif local.
"Toutes les dispositions avaient été prises pour que tout se passe bien mais l'affluence a dépassé les estimations", soutient la source au sein de l'exécutif local.
"Quand il y a un mouvement de foule c'est impossible à contrôler", se défend la source au sein de l'exécutif.
Un rapport officiel rendu public début octobre avait souligné la persistance d'une grande pauvreté dans le milieu rural et les zones enclavées au Maroc, pays de 35 millions d'habitants.
Avec AFP