Usées par les mois de voyage à travers l'Amérique centrale, les familles haïtiennes expulsées en nombre dimanche oscillent entre la colère du traitement subi aux Etats-Unis et l'angoisse de vivre à nouveau dans leur pays désormais en proie à la violence des gangs, relate l'AFP.
Les agents frontaliers américains ont commencé à retirer des groupes de migrants, pour la plupart haïtiens, au cours du week-end d'un grand camp de fortune qu'ils avaient installé après avoir traversé le fleuve Rio Grande séparant le Mexique et l'État américain du Texas.
Les États-Unis avaient suspendu les expulsions de migrants haïtiens en situation irrégulière suite au séisme qui avait ravagé la moitié sud d'Haïti, le 14 août, mais le regroupement en quelques jours de plus de 15.000 migrants, dont une majorité d'Haïtiens, sous un pont au Texas a changé la donne.
En moins de deux heures, trois vols partis du Texas ont atterri dimanche sur le tarmac de Port-au-Prince: jamais les autorités migratoires haïtiennes n'ont eu à gérer un tel afflux.
A leur descente du bus venus les chercher au pied de la passerelle, les familles ont déversé leur colère et frustration sur les employés administratifs et les photojournalistes, sommés de ne pas prendre d'images.
"Biden sait bien ce qu'il fait mais il s'en fiche. Il nous traite, nous et nos enfants pire que des bêtes" hurle une femme, les larmes coulant sur son visage.
Autour d'elle, quelques hommes acceptent de se confier sur les conditions dans le centre géré par l'administration migratoire étasunienne, à proximité du pont sous lequel ils avaient passé plusieurs nuits.
Selon les manifestes des trois vols, près de la moitié des 327 Haïtiens expulsées par les États-Unis dimanche ont moins de 5 ans et sont tous nés hors d'Haïti.
Car avant d'arriver à la frontière américano-mexicaine, ces Haïtiens avaient vécu plusieurs années au Chili et au Brésil, où ils avaient émigré au courant des années 2016 et 2017.
De l'argent investi sans bénifice
Beaucoup d'Haïtiens regrettent l'argent investi dans leur voyage... pour rien.
"A Santiago, j'avais un petit commerce, mon mari travaillait. On arrivait à économiser de l’argent: c'est ce qui nous a permis de faire toute la route vers les États-Unis" témoigne une jeune femme qui se fait surnommer Jeanne, refusant de décliner son identité par peur d'être stigmatisée.
Avec Maël, leur fils de trois ans détenteur d'un passeport chilien, Jeanne et son mari ont traversé le sous-continent américain en deux mois, une route migratoire considérée aujourd'hui parmi les plus périlleuses selon les organisations humanitaires.
"C'est une chose inexplicable. Personne ne peut vraiment témoigner de cette horreur" soupire la jeune Haïtienne. "Si j'avais su ce que j'allais vivre, jamais je n'aurais fait ce voyage", frémit-elle, au bord des larmes.
Le couple dit avoir dépensé 7.000 dollars américains pour arriver jusqu'au Mexique et 2.000 dollars additionnels pour arriver à la frontière texane.
Comme d'autres familles expulsées vers Port-au-Prince dimanche, ils croyaient, à tort, pouvoir bénéficier de l'extension du statut migratoire spécial TPS.
L'administration Biden a bien étendu l'octroi aux Haïtiens du TPS, destiné aux ressortissants de pays dangereux ou frappés par des catastrophes naturelles, mais uniquement aux ressortissants qui se trouvaient sur le sol américain avant le 29 juillet.
Ses études en gestion bouclées, Jeanne avait aussitôt quitté Haïti en 2016.
"Si j'avais pu trouver du travail, jamais je ne serais partie. Maintenant la situation du pays a tellement empiré" s'inquiète-t-elle.
Sa mère résidant à l'étranger, Jeanne va suivre son conjoint et vivre avec sa belle-famille, au cœur d'un quartier périphérique de Port-au-Prince totalement contrôlé par un gang depuis le début de l'année.
"Imaginez: des types ont pu entrer chez le président et le tuer dans sa chambre. Et moi? Je ne peux pas être à l'aise" angoisse la femme de 28 ans, évoquant l'assassinat de Jovenel Moïse tué par un commando armé le 7 juillet.
En sous-effectif, les autorités haïtiennes ont achevé en fin d'après-midi dimanche l'enregistrement de tous leurs ressortissants expulsés des Etats-Unis. Lundi, trois nouveaux vols en provenance du Texas sont prévus à destination de Port-au-Prince.
Même regrets du côté de Mondesir Sirilien qui a confié à Reuters avoir dépensé environ 15 000 dollars pour quitter Haïti. Il s'était d'abord rendu au Brésil par voie terrestre, pour finalement traverser le Rio Grande à la frontière sud des États-Unis.
"J'aurais pu investir cet argent ici, j'aurais pu construire une grande entreprise. Ce n'est pas comme si nous ne savions pas comment faire les choses", a-t-il regretté.
"Mais nous ne sommes pas respectés, nous sommes humiliés et maintenant nous n'avons plus personne pour nous défendre.", poursuit-il.
Aide du gouvernement haïtien
Dans un message vidéo diffusé dimanche soir, le Premier ministre Ariel Henry s'est engagé à venir en aide aux Haïtiens expulsés et a déploré les images "troublantes" du camp, rapporte Reuters.
"C'est avec une grande tristesse que nous regardons sur les réseaux sociaux, à la télévision et écoutons à la radio les tribulations de nos frères et sœurs à la frontière du Mexique et des États-Unis", a-t-il déclaré.
Il a imploré les Haïtiens de se construire un avenir où ils pourront "bien vivre dans notre pays sans avoir à subir ces formes de honte".
Pas de lits ni de douches
"On n'a pas eu de lits pour dormir: on dormait avec seulement une fine bâche plastique pour nous couvrir, alors que l'espace était trop climatisé. Et on dormait à même le sol en béton" témoigne Garry Momplaisir qui a passé cinq jours dans le lieu.
"On n'a pas pu se doucher. Il y avait des toilettes mais aucun endroit prévu pour nous laver" ajoute l'homme de 26 ans, expulsé en compagnie de sa femme et leur fille de 5 ans.
Le processus d'enregistrement par les autorités haïtiennes s'éternisant, beaucoup de parents ont profité de l'attente pour donner une toilette sommaire à leurs plus jeunes enfants.
Avec agences