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Maurice aux urnes : un scrutin crucial entre espoir de changement et tentation du statu quo


(Photo d’archives) Le Premier ministre mauricien Pravind Kumar Jugnauth s'adresse à la 78e session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le vendredi 22 septembre 2023.
(Photo d’archives) Le Premier ministre mauricien Pravind Kumar Jugnauth s'adresse à la 78e session de l'Assemblée générale des Nations Unies, le vendredi 22 septembre 2023.

Entre promesses de réformes, accusations de corruption et surenchère populiste, les Mauriciens se rendent aux urnes ce dimanche 10 novembre 2024 dans un climat politique tendu.

Les élections législatives de ce dimanche à Maurice marquent un tournant crucial pour la démocratie de ce petit État insulaire souvent vanté pour sa stabilité politique. Jean-Claude de l’Estrac, ancien ministre des Affaires étrangères et figure emblématique de la politique mauricienne, résume l’enjeu : « Ce scrutin se joue sur un choix de société. Après dix ans de pouvoir, le gouvernement actuel, sous la direction de Pravind Jugnauth, demande un troisième mandat. Mais la question est : les Mauriciens sont-ils prêts à l’accorder malgré une série de scandales et des accusations croissantes d’autocratie ? ».

En effet, ces élections surviennent dans un contexte de défiance accrue vis-à-vis des institutions. Depuis 2019, Maurice a vu son classement chuter dans les indices internationaux en matière de gouvernance et de liberté d’expression. Les récentes révélations sur des écoutes téléphoniques massives, impliquant journalistes, avocats, juges et opposants, ont choqué la population. Cette affaire a mis en lumière un État de surveillance perçu comme incompatible avec les principes démocratiques. « Nous étions considérés comme un modèle de démocratie en Afrique. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas », déplore de l’Estrac, qui fut membre de l'Assemblée nationale du pays entre 1976 et 1994.

Surenchère populiste et économie sous perfusion

Face à cette érosion démocratique, l’opposition regroupée au sein de l’ « Alliance du Changement » tente de convaincre les électeurs de la nécessité d’un renouveau politique. Cette coalition hétéroclite, menée par deux anciens Premiers ministres, Navin Ramgoolam et Paul Bérenger, tente de se positionner en alternative crédible malgré leurs propres casseroles. « Ce n’est pas aussi simple que de choisir entre le statu quo et le changement, car ceux qui se présentent comme des alternatives ont aussi un passé entaché », rappelle Jean-Claude de l’Estrac, joint à Maurice par VOA Afrique pour un entretien téléphonique enregistré jeudi.

Un rassemblement électoral de l’Alliance du Changement tenu dans la capitale mauricienne, Port-Louis, le dimanche 3 novembre 2024, avant les élections générales du dimanche 10 novembre 2024. (La Sentinelle via AP)
Un rassemblement électoral de l’Alliance du Changement tenu dans la capitale mauricienne, Port-Louis, le dimanche 3 novembre 2024, avant les élections générales du dimanche 10 novembre 2024. (La Sentinelle via AP)

Cependant, la fin de campagne a vu les deux camps s’engager dans une surenchère de promesses économiques. Dans une tentative désespérée de gagner des voix, le gouvernement sortant a promis un quatorzième mois de salaire et d’autres avantages financiers. L’opposition n’a eu d’autre choix que de suivre cette course aux cadeaux électoraux. « Peu importe qui l’emportera, les électeurs sont assurés de recevoir ces largesses, mais à quel prix pour l’économie du pays ? », s’interroge de l’Estrac, qui lui-même faisait partie pendant de nombreuses années du Mouvement militant mauricien (MMM) de Paul Bérenger.

Le gouvernement Jugnauth rejette les accusations

Face aux critiques concernant la gouvernance et les allégations de corruption, le gouvernement de Pravind Kumar Jugnauth a systématiquement rejeté ces accusations, les qualifiant de « campagnes malsaines » destinées à nuire à son image et à son bilan. Le Premier ministre sortant a exhorté la population à ne pas se laisser duper par de telles campagnes, menées par ses détracteurs et diffusées notamment sur les réseaux sociaux, selon lui.

L’économie mauricienne, qui repose sur le tourisme et les services financiers, a montré des signes de reprise après le choc de la pandémie de Covid-19. Toutefois, cette croissance reste fragile et masque des inégalités sociales croissantes. Avec un taux de chômage des jeunes qui avoisine les 20%, la question de l’emploi demeure au centre des préoccupations des électeurs. « Il y a beaucoup d’argent en circulation, mais c’est une illusion monétaire », avertit de l’Estrac, pointant du doigt une dévaluation insidieuse de la roupie mauricienne.

Elections à Maurice : « Ce scrutin se joue sur un choix de société. »
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Le « mirage » des Chagos : un coup politique risqué ?

Autre facteur déterminant de ces élections : l’accord signé en octobre dernier avec le Royaume-Uni concernant la souveraineté de l’archipel des Chagos. Présenté par le gouvernement Jugnauth comme une victoire historique, cet accord est perçu par certains comme un simple écran de fumée. « En quoi est-ce historique ? », ironise l’ancien député Jean-Claude de l’Estrac. « Diego Garcia reste sous contrôle britannique et américain pour 99 ans. En réalité, c’est un mirage qui risque de se retourner contre le gouvernement sortant. »

L’opposition n’a pas manqué d’exploiter cette ambiguïté en soulignant que cet accord pourrait ouvrir la voie à des tractations avec des puissances étrangères, notamment la Chine, exacerbant les tensions géopolitiques dans l’océan Indien. Cette question pourrait revenir sur le devant de la scène si Donald Trump, dont le retour à la Maison Blanche a été confirmé mardi dernier, décide de revoir la position américaine sur Diego Garcia.

Une démocratie à la croisée des chemins

À la veille de ce scrutin décisif, l’incertitude plane. Les sondages prédisent une lutte serrée entre l’ « Alliance Lepep », la coalition menée par le Mouvement socialiste militant (MSM) du Premier ministre Jugnauth et l’Alliance du Changement (qui comprend, entre autres, le Parti travailliste de Ramgoolam et le MMM de Bérenger).

Pourtant, au-delà des chiffres, c’est l’avenir démocratique du pays qui est en jeu. « Le peuple mauricien devra choisir entre maintenir un gouvernement qui a offert une prospérité relative mais au prix d’un recul des libertés, ou tenter le pari risqué d’une nouvelle coalition avec un passé politique tout aussi contestable », conclut Jean-Claude de l’Estrac, qui fut aussi Secrétaire général de la Commission de l'océan Indien entre 2012 et 2016.

La question demeure : les électeurs seront-ils séduits par la stabilité et les promesses économiques du gouvernement sortant, ou bien aspireront-ils à un renouveau démocratique après une décennie marquée par des scandales ? Maurice, cette île célèbre pour ses plages idylliques et autrefois vantée comme un modèle de démocratie et de stabilité, se trouve à un carrefour historique, selon des observateurs. L’issue de ce scrutin pourrait bien déterminer si le « miracle mauricien » est encore un modèle viable ou s’il s’agit désormais d’un mirage entretenu par des intérêts politiques.

Dimanche, les urnes parleront. Au-delà du simple résultat, c’est la vitalité de la démocratie mauricienne qui sera donc en jeu. Les électeurs renverseront-ils la table ou céderont-ils aux promesses populistes ? Ce sont quelques-unes des questions que se posent certains commentateurs. Pour eux, en tout cas, l’île Maurice s’apprête à écrire un nouveau chapitre de son histoire.

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