Les faits reprochés à Cheikh Baye Ould Mohamed, animateur d'un site d'informations, "Meyadine" (Domaines, en langue arabe) remontent au 30 juin : il participait à un point de presse hebdomadaire du porte-parole du gouvernement, Mohamed Lemine Ould Cheikh, lorsqu'il lui a lancé sa chaussure, sans l'atteindre, le qualifiant de "ministre du mensonge". Placé en garde à vue, il avait été inculpé et écroué le 11 juillet.
Jeudi, il "a comparu devant la Chambre correctionnelle du tribunal de Nouakchott pour +outrage et violence contre une autorité publique durant l'exercice de ses fonctions+", a affirmé à l'AFP une source judiciaire à l'ouverture de son procès, qui n'aura pas duré plus d'une journée.
Jeudi en fin de journée, il a été condamné à trois ans de prison ferme, selon la même source judiciaire et les avocats de la défense, qui ont annoncé qu'ils interjetteront appel.
Me Brahim Ould Ebetty, qui dirige le collectif des avocats de l'accusé, a souligné auprès de l'AFP que le juge "n'a même pas suivi les demandes du parquet", le procureur ayant réclamé la peine minimale à son encontre.
A l'ouverture du procès, la source judiciaire avait estimé que le prévenu risquait une peine d'un mois à deux ans de prison assortie d'une amende d'après des textes concernant les poursuites à son encontre. Mais la cour s'est fondée sur d'autres dispositions prévoyant une peine plus lourde, a-t-on indiqué, sans plus de détails.
"Le juge nous confirme que nous sommes dans un Etat d'exception, c'est le fait du Prince. Nous sommes dans un état de désolation indescriptible", a déclaré Me Ould Ebetty. La défense fera immédiatement appel contre "cette décision insensée".
Me Yarba Ould Ahmed Saleh, autre avocat de la défense, a parlé d'"une décision injuste et excessive, qui rentre dans le domaine de l'imprévisibilité juridique".
- Pas d'excuses pour des "actes répréhensibles" -
Le ministre porte-parole du gouvernement s'est brièvement exprimé sur la procédure lors du point de presse hebdomadaire à l'issue du Conseil des ministres jeudi soir à Nouakchott.
"Les journalistes sont excusés pour ce qui concerne leurs écrits et leurs commentaires, mais pas pour ce qu'ils commettent comme actes répréhensibles", a commenté Mohamed Lemine Ould Cheikh.
La condamnation du journaliste a été accueillie par des huées de jeunes, membres du "Mouvement du 25 février" dont Cheikh Baye Ould Mohamed est un militant.
Ce mouvement, né dans le sillage du printemps arabe, est opposé au régime du président mauritanien Mohamed Ould Abdel Aziz. Il avait organisé la semaine dernière un rassemblement à Nouakchott pour réclamer la libération du journaliste, estimant dans un communiqué que son geste en direction du ministre était une "protestation civilisée".
Ce lancer de chaussure fait écho à d'autres événements similaires, notamment celui d'un journaliste irakien en 2008 qui avait visé avec sa chaussure de sport le président américain d'alors, George W. Bush, lors d'une conférence de presse à Bagdad. Ce dernier l'avait évitée.
La condamnation de Cheikh Baye Ould Mohamed intervient trois mois après le report sine die du procès des directeurs de publication de deux sites locaux d'information accusés de "diffamation et injure" par Badr Ould Abdel Aziz, le fils du chef de l'Etat.
Jedna Ould Deida, de Mauriweb.info, et Babacar Baye Ndiaye, de Cridem.org, avaient été convoqués et brièvement détenus, les 7 et 8 avril, après la publication sur leurs sites d'articles mettant en cause le plaignant.
Leur procès devait s'ouvrir le 14 avril mais il a été reporté le même jour, la défense indiquant que leur dossier avait été "retiré par le parquet", sans autres explications.
Reporters sans frontières (RSF) estime sur son site que "ces dernières années, la Mauritanie avait accompli des progrès dans le domaine de la liberté de la presse avec une sensible diminution des violences et des intimidations à l'encontre des journalistes", mais l'ONG s'inquiète de menaces, évoquant notamment la "condamnation à mort en 2014 d'un blogueur pour apostasie".
Avec AFP