Même si le monde parvenait à limiter le réchauffement de la planète à +2°C par rapport à l'ère pré-industrielle, l'augmentation du niveau des mers pourrait submerger les foyers de 280 millions de personnes, selon un projet de rapport des experts du climat de l'ONU obtenu en août par l'AFP.
Même à +2°C, les calottes glaciaires continueront à fondre et même si les scientifiques ne savent pas combien de temps ça prendra, à terme cela signifie "plus de 4,5 mètres d'élévation du niveau de la mer, probablement six mètres", explique à l'AFP Ben Strauss, le patron de l'institut de recherche Climate Central.
"C'est suffisant pour effacer de la carte la plupart des villes côtières", poursuit le chercheur qui avait déjà mis en avant dans une étude publiée en 2015 ce chiffre de 280 millions.
Selon ses recherches, une partie importante de la population de grandes villes se retrouverait sous l'eau, à Hong Kong (31%), Shanghaï (39%), Bombay (27%), Calcutta (24%), Amsterdam (92%), Bangkok (42%) ou Miami (43%).
Là où ce sera techniquement et financièrement possible, certains aménagements pourront être réalisés pour éviter la submersion. New York envisage par exemple des travaux de protection qui coûteront des milliards de dollars.
"Des digues de plus en plus hautes devront être construites", mais "voulons-nous vivre au fond d'une cuvette et à quelle profondeur ?", lance Ben Strauss. "En cas de méga-tempête, ou si quelqu'un pose une bombe ..., plus la cuvette est profonde, plus elle se remplit vite".
Certaines communautés, notamment dans les régions polaires, risquent de toute façon d'"atteindre les limites de l'adaptation bien avant la fin du siècle" et certaines Etats insulaires pourraient devenir "inhabitables", estime le projet de rapport de l'ONU examiné à Monaco à partir de vendredi.
- Qui protéger ou sacrifier ? -
Cette dernière prédiction pourrait se réaliser très rapidement. Selon une étude parue en 2018 dans la revue Science Advances, la plupart des milliers d'atolls tropicaux seront inhabitables d'ici à 2050. Non parce qu'ils auront disparu sous les eaux -ce qui ne devrait pas se produire avant 2100 ou 2150- mais parce que la fréquence des inondations marines provoquera la contamination de l'eau potable.
Face à cet avenir sombre, "beaucoup de gouvernements de petits Etats insulaires sont pris dans un dilemme", note François Gemenne, un spécialiste en géopolitique de l'environnement travaillant à l'université de Liège.
"Ça pourrait sembler une bonne stratégie de négocier des accords de migration", explique-t-il à l'AFP. Mais "ils estiment que ça signifierait baisser les armes face au changement climatique".
Dans tous les cas, petites iles peu peuplées ou grandes mégalopoles côtières, cette "redistribution d'une partie de la population mondiale" doit être "organisée", "sur plusieurs générations", plaide le chercheur.
"Le pire serait d'attendre le dernier moment et d'être obligé de déclencher des opérations humanitaires" pour reloger dans l'urgence ces populations "sans qu'elles aient pu décider où refaire leur vie ailleurs", souligne-t-il.
Et même si ces mouvements de population devraient être principalement internes, selon les experts, ils n'iront pas sans difficultés.
Quelles populations protéger ? Quelles populations déplacer, comment, avec quelles compensations ? Pour certains gouvernements, "les populations les plus défavorisées ne seront pas forcément en haut de la liste et on imagine les tensions que vont provoquer les choix entre ceux qu'on protège et ceux qu'on sacrifie", prédit François Gemenne.
Le niveau de la mer n'est en plus pas le seul effet du réchauffement appelé à chasser de plus en plus de gens de chez eux.
Selon l'Observatoire des situations de déplacement interne (IDMC), 16 millions de personnes ont été déplacées en 2018 par des événements météo extrêmes appelés à se multiplier.
Le dérèglement climatique est devenu un "moteur de migration", mettait en garde l'an dernier la Banque mondiale, qui prédit 143 millions de "migrants climatiques" d'ici à 2050.
Et si pour certains, il existe un espoir de rentrer un jour, pour ceux acculés par la montée des eaux, "ce sont des migrations sans retour possible", insiste François Gemenne.