Vétéran du jihad africain, Abdelmalek Droukdal a longtemps sévi en Algérie, en particulier durant la "décennie noire" (1992-2002) de la guerre civile (200.000 morts).
Dans la première réaction officielle à son élimination, Alger a estimé mardi que "la lutte antiterroriste est de la responsabilité de la communauté internationale".
QUESTION: Comment expliquer la longévité de Droukdal, le fait qu'il ait pu se cacher si longtemps apparemment en Algérie?
REPONSE: "La longévité de Droukdal s'explique surtout par le fait que, depuis plus de dix ans, Aqmi a énormément réduit sa voilure en Algérie. La plupart de ses membres ont préféré s'installer en Tunisie, en Libye ou au Sahel, plus propices à l'action ou même pour faire le coup de feu au Moyen-Orient.
La baisse d'intensité de l'activité terroriste a préservé la vie des +irréductibles+ qui sont restés en Algérie. En ne s'exposant pas au combat, ils ont réussi à durer dans le temps, Droukdal en premier.
Je n'ai pas une idée précise de l'endroit où il se trouvait. Les derniers signalements de la Katiba (compagnie) "El Khadra", qui lui servait de garde prétorienne, datent de 2017-2018 dans une région très boisée à la frontière avec la Tunisie.
De là, il est facile d'imaginer que Droukdal ait pris le chemin le plus long, donc via la Tunisie, la Libye et le Niger pour rejoindre les Ifoghas (nord-est du Mali), ce chemin étant (...) le moins sécurisé.
Après, il est possible qu'il ait fait des sauts de puce de part et d'autre de la frontière algéro-malienne, comme tendent à le confirmer les récits français et américains."
Q: Qu'est-ce que sa mort va changer dans la "BSS" (bande sahélo-saharienne)? Et quels enjeux pour son remplaçant?
R: "Sa disparition est importante car elle marque la fin du règne des Algériens du Sahel, ce qui peut fragiliser Aqmi au sein du Groupe de soutien à l'islam et aux musulmans (GSIM, également appelé JNIM), principale alliance jihadiste du Sahel affiliée à Al-Qaïda).
Droukdal était proche des émirs du Sahara, surtout des Algériens qui étaient ses compagnons d'armes. Ce ne sera pas le cas de son remplaçant qui viendra probablement du Nord, Abou Obeida Youcef El Annabi ou Abou Hassan Rachid el Boulaidi (tous deux Algériens), et qui aura peu d'attaches et donc d'emprise sur les groupes du Sud.
Cela pourrait donc affaiblir Aqmi à l'intérieur du GSIM/JNIM et raviver les tensions entre factions jihadistes, surtout au Mali."
Q: Quelle est la stratégie de l'Algérie aujourd'hui au Sahel?
R: "L'Algérie a toujours été pour un accord politique de réconciliation au Sahel, et en particulier au Mali. Il en naîtra les accords d'Alger (NDLR: Alger, inquiète des risques d’instabilité sur son flanc sud, a servi de médiateur en 2014-2015 entre le gouvernement de Bamako et des groupes rebelles armés du nord du Mali).
Pour l'Algérie, la force est le dernier recours pour régler les problèmes de la BSS qui sont en premier lieu des problématiques de gouvernance ou d'absence de gouvernance des capitales --Nouakchott, Bamako et Niamey-- envers leurs zones Nord, et de développement.
Tant que ces problématiques ne sont pas résolues, une partie de la population vivant dans le dénuement le plus total sera obligée de migrer ou de verser dans la contrebande, l'orpaillage ou le terrorisme.
La volonté de l'Algérie a été en premier lieu de réconcilier les populations et d'aller vers la désescalade, ensuite de coordonner les efforts sécuritaires des pays à travers le Cemoc (Comité opérationnel conjoint entre l’Algérie, le Mali, la Mauritanie et le Niger) pour enfin aider au développement des régions frontalières et les régions enclavées, afin de fixer les populations."