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Ni "Blanc" ni "Noir": les Arabes américains veulent sortir du flou statistique


Des femmes musulmanes prient dans une mosquée à Los Angeles, Californie, le 30 janvier 2015.
Des femmes musulmanes prient dans une mosquée à Los Angeles, Californie, le 30 janvier 2015.

"Blanc", "Noir" ou "autre race": les Américains originaires du Maghreb ou du Proche-Orient n'ont aujourd'hui qu'un choix limité pour se définir lors des recensements de population, mais ce flou statistique pourrait bientôt se dissiper.

Pour la première fois en plus de 45 ans, l'administration envisage d'ajouter à son questionnaire une catégorie réservée aux Américains originaires de la région "Moyen Orient-Afrique du Nord", qui s'ajouterait aux cases dédiées aux "Blancs", "Afro-Américains" et autres "Asiatiques".

"Cette démarche vise à améliorer les données sur la race et l'ethnicité afin que nous puissions fournir à notre pays d'importantes informations sur notre diversité croissante", explique Rachel Marks, experte au Census Bureau, l'agence fédérale de la statistique en charge de cette réflexion.

Le processus est entré dans sa phase finale mais divise la communauté musulmane américaine qui veut se compter pour peser politiquement mais hésite à sortir du rang dans un contexte de montée de la rhétorique anti-islam.

"A l'ère de Donald Trump, nous craignons que cette désignation ne puisse nous faire du mal. Devons-nous donner un outil à quelqu'un qui veut interdire aux musulmans l'entrée aux Etats-Unis ou les placer sous surveillance ?", se demande Oussama Jammal, secrétaire général de l'US Council of Muslim Organizations, qui n'a pas encore adopté de position officielle sur la question.

Dilemme : ni blanc ni noir

Tout le monde s'accorde en tout cas sur un point: les Américains d'origine iranienne, libanaise ou encore saoudienne font aujourd'hui face à un dilemme au moment de définir officiellement leur appartenance.

"Sommes-nous Blancs? Nous ne sommes sûrement pas Noirs même si certains d'entre nous viennent d'Afrique du Nord. Est-ce que c'est par la couleur de peau ou par région? Ce dilemme touche tout le monde", assure M. Jammal.

En France, où les statistiques ethniques sont proscrites depuis le régime de Vichy, un tel questionnement n'a pas lieu d'être.

Mais aux Etats-Unis, les données sur les origines géographiques ou la couleur de peau irriguent déjà de nombreuses statistiques officielles, permettant par exemple de savoir que le taux de chômage des Noirs est le double de celui des Blancs.

Les recensements, qui ont lieu tous les dix ans aux Etats-Unis, posent clairement la question "Quelle est la race de la personne", proposant de cocher une ou plusieurs cases parmi 15 options.

A la fin des années 1990, des associations avaient commencé à faire pression pour que les personnes originaires du Moyen-Orient soient officiellement recensées.

Mais les attentats du 11-Septembre et la crainte qu'un tel outil ne soit utilisé contre les musulmans a toutefois mis le processus en suspens.

Une polémique avait d'ailleurs éclaté en 2004 quand le Census Bureau avait fourni aux autorités des données sur la localisation d'Américains ayant déclaré dans le recensement de 2000 des "ancêtres" originaires du Moyen-Orient.

"Cela a créé une énorme fureur dans la communauté musulmane parce qu'ils avaient le sentiment que cela serait utilisé pour les surveiller, et c'était d'ailleurs sans doute le but", explique Matthew Snipp, professeur de sciences humaines à l'université de Stanford.

Cet épisode rappelait également de sombres et plus lointains souvenirs, quand le Census Bureau avait été accusé d'avoir aidé à identifier les Américains d'origine japonaise placés dans des camps d'internement durant la Seconde Guerre mondiale.

Ces craintes d'instrumentalisation n'ont toutefois pas empêché le dossier de revenir sur la table du Census Bureau, qui a officiellement amorcé sa réflexion en 2014 après un nouveau lobbying associatif.

"C'est une préoccupation légitime mais on ne doit pas y répondre en vivant dans l'ombre ou en masquant notre héritage", dit à l'AFP Jamal Abdi du National Iranian American Council, qui y voit un moyen de se faire davantage entendre politiquement.

Dans une zone concentrant beaucoup de personnes originaires du Moyen-Orient, l'Etat pourrait ainsi être incité à proposer ses services en arabe, comme il le fait déjà souvent en espagnol.

"Cela aidera les autorités à fournir le meilleur service possible en tenant compte de la grande diversité de sa population", affirme Corey Saylor, du Council on American-Islamic Relations.

La question devra être tranchée in fine au niveau politique. Si le Census Bureau va de l'avant, la nouvelle catégorie ne pourra apparaître dans le prochain recensement de 2020 qu'avec l'aval du Congrès.

Avec AFP

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