"Quel est l'avenir de la réserve ?" de Kouré et ses célèbres girafes, s'inquiète Aïcha Idé, qui habite Kanaré, un village voisin, dans le sud du Niger, un mois après l'assassinat par des jihadistes présumés de 8 personnes, dont 6 humanitaires français.
"Nous sommes profondément tristes après la mort de notre collègue et des sept travailleurs d'Acted, nous sommes tous des frères parce que nous vivons grâce aux girafes", explique à l'AFP Ousseini Idrissa, un des onze guides désormais au chômage, qui s'interroge sur l'avenir.
"Si les Blancs ne viennent plus voir les girafes, nos familles vont également en souffrir car les girafes sont notre seul moyen de survie", explique M. Ousseini, vêtu de l'uniforme vert des guides, cigarette coincée entre les doigts.
Les jeunes humanitaires français, deux hommes et quatre femmes, ont été assassinés avec leur chauffeur et leur guide nigériens par des hommes armés à moto le 9 août alors qu'ils visitaient la réserve de girafes de Kouré, à 60 km au sud-est de la capitale Niamey où ils étaient basés.
Après l'attaque, le gouvernement nigérien a fermé la réserve tandis que la France a placé le site dans la "zone rouge", tout comme le reste du pays, excepté la capitale.
Le Niger, pays sahélien très pauvre, est en proie à des attaques jihadistes récurrentes qui ont fait des centaines de morts.
Projets à l'arrêt
Dans ce contexte d'insécurité, les girafes peralta, une espèce menacée, étaient une des rares attractions accessibles pour les habitants expatriés de Niamey qui s'y rendaient souvent le week-end.
Traversée par la route nationale, la réserve est une zone semi-désertique avec des arbustes poussant sur un sol caillouteux sous un ciel chargé de gros nuages noirs en cette saison des pluies.
Les girafes avaient trouvé un havre de paix, bénéficiant de l'indulgence des paysans... même lorsqu'elles détruisent les maigres récoltes de céréales.
De 50 en 1996, les effectifs des girafes étaient estimés à 664 en 2019, d'après le ministère de l'Environnement.
Pour encourager les populations à les protéger davantage, des partenaires, européens, américains, turcs et des ONG internationales financent des projets communautaires.
"Si la mesure de fermeture perdure, cela suppose l'arrêt de toutes les activités sur la réserve, y compris des projets de développement financés à coût de millions au profit des villageois", alerte Omer Dovi, un membre de l'Association de sauvegarde des girafes du Niger (ASGN).
Des villages ont bénéficié de forages d'eau potable, de dispensaires, d'écoles, de moulins à grains, de semences et d'engrais.
"Ce forage d'eau potable que vous voyez est financé par une ONG de protection des girafes, si la réserve ne marche plus, nous serons de grands perdants", explique Aïssa Issa, aux côtés d'autres villageoises venues pour la corvée d'eau.
Les femmes reçoivent des prêts sans intérêt pour monter de petits commerces.
Autodéfense
Sani Ayouba, un responsable de l'ONG Jeunes volontaires pour l'environnement (JVE) redoute que "le choc" de l'attaque ne sonne "la fin de toutes les activités qui concourent à maintenir les girafes dans cette réserve".
"Il faut équiper d'avantage les forestiers et songer à former des 'rangers' à l'image des parcs d'autres pays", propose-t-il.
Les guides comptent eux sur une présence militaire et une sécurisation de la zone.
"Il n'y a pas de miracle pour faire revenir les Blancs: il suffit d'imposer des mesures drastiques de sécurité sur tout le site", tranche Ousseini Idrissa, qui se dit même prêt à combattre.
"Nous avons aussi besoin d'apprendre à nous servir d'une arme pour l'autodéfense", assure-t-il.
Lors d'une visite sur les lieux, le Premier ministre Brigi Rafini a promis "plus de sécurité" et "d'entreprendre toutes les actions de nature à recréer l'espoir à Kouré", sans énoncer de mesures.
"C'est tout de suite que le gouvernement doit installer une base militaire ici!", crie Ramatou Issa, une vendeuse de fruits près d'un poste de contrôle à l'entrée de la réserve. "Si la zone est délaissée, elle se transformera en un repaire de bandits", prédit-elle.
Depuis l'attaque, des patrouilles militaires lourdement armées sillonnent la réserve de plus de 116.000 hectares, a constaté un correspondant de l'AFP.
"Nous expliquons aux riverains que la sécurité est désormais une priorité et de signaler tout individu ou mouvement suspect", souligne le commandant Lamine Saïdou, responsable de la réserve.
L'insécurité et le manque de ressources peuvent aussi influer sur la survie des girafes.
S'exprimant sous couvert d'anonymat, un expert met en garde: "Il faut tout faire pour maintenir les girafes à Kouré, si elles migrent définitivement vers des zones des conflit, l'espèce peralta s'éteindra".
Omer Dovi craint le développement du braconnage: "Si les riverains ne tirent plus profit de la présence des girafes, alors ils attaqueront une girafe, puis deux, puis trois...".